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Il ne m’a pas parlé de son malade, mais je savais déjà qu’il est mieux, qu’on lui permet de prendre l’air sur son balcon. Quant à moi, comme je lui demandais la permission de sortir : — Non, m’a-t-il dit, gardez-vous des conversations excitantes. — Hélas ! avec qui pourrais-je en avoir ?

C’est singulier que Morrik n’ait pas fait demander de mes nouvelles. Il comprend sans doute que tout est changé pour nous, puisque tous les deux nous devons vivre. Cependant, par égard pour notre précédente amitié ;… mais peut-être cette crise a-t-elle complètement métamorphosé tout son être, le paroxysme de fièvre auquel il doit sa cure aura peut-être effacé chez lui tout souvenir de son ancienne compagne de souffrance.

Le 5.

Une lettre de mon père, pleine de félicitations qui m’ont fait pleurer. Non ! j’étais heureuse lorsqu’on me plaignait ; depuis que la terre m’appartient et que je dois en jouir, je suis malheureuse.

Ces jours d’hiver où le soleil répand une chaleur de printemps me rendent tout à fait misérable de corps et d’esprit. C’est si stérile !…

Le 8.

Peut-être sont-ils bien rares, les hommes auxquels est accordé le sort qui attend Morrik après cette rude épreuve. Quand je songe à son avenir, mon cœur tressaille. À peine quinze jours se sont écoulés depuis que je veillais auprès de-son lit. Que s’est-il passé ? Quand il entend mon nom, peut-être détourne-t-il son regard et cherche-t-il vainement à se rappeler notre rencontre. Et moi, je me figure son avenir, ainsi que ferait une toute vieille femme qui, après bien, bien des années, apprend ce qu’est devenu l’un de ses amis de jeunesse, et dit : Il le méritait bien ; c’est un noble cœur, un esprit distingué, je l’ai bien connu…

Le 12.

Cette après-midi, le soleil était si chaud que, trouvant le chemin du Kuchelberg trop peu ombragé, je suis allée au Wassermauer, où je n’avais pas mis les pieds depuis bien des jours. Il y avait peu de promeneurs, et je préparais dans ma tête les réponses que je ferais aux personnes qui ne manqueraient sans doute pas de m’aborder pour savoir quel effet a produit sur moi la certitude d’une guérison prochaine, lorsqu’un coup d’œil jeté sur les bancs du jardin glaça mon courage. Là s’étalait la dame sans nerfs en belle toilette de printemps, et près d’elle… Morrik. Elle parlait avec animation, il