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meurent ensemble, l’un sans avoir pu se faire aimer, l’autre sans avoir daigné aimer.

Après ce prélude, nous entrons dans une série de chants portant le nom bizarre de Gazals en N. C’est, dans la poésie lyrique de l’Orient, une suite de distiques où la recherche du nombre et de la consonnance est poussée à l’extrême. M. Renaud essaie de nous en donner, non pas tout à fait l’équivalent, c’est chose impraticable dans notre langue, mais une imitation aussi rapprochée que possible. Ici, l’homme apparaît, indifférent encore, suivant le fil de ses rêves ondoyans et vagues; son âme n’a pas soulevé le « couvercle d’airain. » Puis dans les Rhythmes le rêve commence à devenir plus lucide, sans cependant céder la place à l’idée précise. L’âme entrevoit et désire la volupté; mais le dégoût vient, la volupté obtenue a gâté « le frêle parfum du rêve, » le réel a brisé le ressort de l’idéal, et l’homme envie tristement les pures amours des palmiers que le vent transporte sur ses ailes

De l’amant ignoré toujours
A l’amante toujours surprise.

Cette inspiration, toute d’emprunt, est assez heureuse. En puisant à la source de la poésie orientale, M. Renaud se ménageait une veine abondante et vraie dans son genre; le succès ne dépendait plus que du choix à faire entre ces élémens poétiques qui sans doute ne se prêtaient pas tous à la traduction. L’auteur a eu l’art difficile de les filtrer avec goût. Le triage une fois accompli, il importait de trouver la forme d’interprétation. Un poème compacte sur un même rhythme eût paru lourd et monotone; l’extrême diversité du sujet appelait tout naturellement une variété analogue dans le mode de versification. Continuons l’analyse de ces Nuits persanes. La seconde partie sort de l’idylle pour entrer dans le drame. Une jeune fille au fond d’un harem, c’est la Solitaire, sent son cœur battre pour un homme aux traits altiers, un tueur de gazelles, qui passa un jour devant sa litière. Les ardeurs mélancoliques de la recluse vont vers lui. En vain le marchand de perles offre à la vierge les splendeurs de son bazar, le marchand de roses son royaume purpurin, le poète ses chants qui répandent la gloire de ceux qu’ils célèbrent; la solitaire préférerait avoir la gorge broyée « sous l’étrier » du bien-aimé. Le trait, on le voit, est tout oriental. Enfin le tueur de gazelles aperçoit la recluse. Comment, dans quelles circonstances? M. Renaud ne le dit pas. Cette partie du poème manque de clarté, et laisse trop à deviner au lecteur. Toujours est-il que tous les deux, s’étant compris probablement du regard, s’enfuient dans la Vallée de l’Union; mais bientôt la jeune fille meurt, et le tueur de gazelles, pour s’étourdir, se lance au milieu des combats, de la guerre fatale et musulmane, au cri de : Dieu est grand! Il n’épargne personne, pas même