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LES RÉFORMES DE L’ENSEIGNEMENT PRIMAIRE.

enfans à l’école, et à ce faire soient contraints par les seigneurs et les juges ordinaires[1]. » En 1571, aux états-généraux de Navarre, la même doctrine se produisit, et grâce aux généreux efforts de la reine Jeanne d’Albret, elle passa dans la loi. Louis XIV et Louis XV prirent des mesures dans le même sens, et la convention ne fit que continuer cette antique tradition en décidant, le 25 décembre 1793, que tous les enfans, dans l’étendue de la république, seraient contraints, de fréquenter les écoles. Ce n’est donc pas là une nouveauté révolutionnaire, et il faut reconnaître que le système de l’obligation a de glorieuses origines. De nos jours cependant il est accueilli par des défiances injustes : les uns lui reprochent d’être une arme dans les mains des socialistes, les autres d’être un empiétement de l’état sur les droits de l’individu, et le parti clérical, qui craint de voir ses écoles perdre de leur importance, attribue aux partisans de l’instruction obligatoire des intentions tyranniques qu’ils n’ont jamais eues. L’idée de l’obligation, malgré ces défiances et ces haines, n’en fait pas moins son chemin, car on comprend que c’est d’elle seule que mous devons attendre l’extension et l’amélioration générale de l’instruction primaire. En 1833, un homme qu’on n’accusera pas d’avoir été un socialiste ou un démocrate partisan de la tyrannie de l’état, mais chez qui on ne peut se lasser d’admirer les plus rares et les plus délicates qualités de l’écrivain et du penseur, M. Cousin, appréciait en ces termes le principe de l’instruction obligatoire dans son rapport à la chambre des pairs :


« Une loi qui ferait de l’instruction primaire une obligation légale ne nous a pas paru plus au-dessus des pouvoirs du législateur que la loi sur la garde nationale, et celle que vous venez de faire sur l’expropriation forcée pour cause d’utilité publique. Si la raison de l’utilité publique suffit au législateur pour toucher à la propriété, pourquoi la raison d’une utilité bien supérieure ne lui suffirait-elle pas pour faire moins, pour exiger que des enfans reçoivent l’instruction indispensable à toute créature humaine, afin qu’elle ne devienne pas nuisible à elle-même, et à la société tout entière ? Une certaine instruction est-elle au plus haut degré utile ou même nécessaire à la société ? telle est la question. La résoudre affirmativement, c’est armer la société, à moins qu’on ne veuille lui contester le droit de défense personnelle ; c’est l’armer, disons-nous, du droit de veiller à ce que ce peu d’instruction nécessaire à tous, ne manque à personne. Il est contradictoire de proclamer la nécessité de l’instruction universelle, et de se refuser au seul moyen qui la puisse procurer. Il n’est pas non plus fort conséquent peut-être d’im-

  1. Nous empruntons cette citation au rapport de M. Duruy sur l’état de l’enseignement primaire en 1863.