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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 87.djvu/703

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pittoresques reconnues et pratiquées par les artistes de tous les temps et de tous les pays. Sans parler de ce que peut offrir d’insolite une Salomé sous les traits et le costume d’une aimée arabe, il y a quelque chose d’ouvertement agressif dans l’éclat de ces chairs sans nuances au premier aspect, presque sans modelé, dans l’acidité ou la violence des tons environnans, depuis le jaune de la tenture sur laquelle la figure se découpe jusqu’au jaune de la tunique, jusqu’au cliquetis des ors et des couleurs qui s’agitent, s’entre-choquent ou scintillent, comme ces nuées d’insectes dont le vol tourbillonnant dérobe les formes au regard pour ne lui livrer par éclairs que des paillettes étincelantes. Une fois qu’on a passé condamnation sur cette recherche à outrance, sur cette ostentation de l’originalité, une fois qu’on s’est remis du premier étourdissement causé par l’excessive indépendance de cette manière, on se prend à s’associer aux intentions qu’elle traduit, à reconnaître un fonds de puissance véritable sous ces provocations et ces défis. Bien plus, ce qui n’exprimait d’abord que des témérités de touche ou des aventures de pinceau révèle les calculs d’un art délicat, un mélange singulier d’irréflexion apparente et d’adresse étudiée, un goût très raffiné, en un mot, là même où la main semble avoir agi avec le plus de brusquerie, de précipitation ou de caprice. Nous ne voulons pas exagérer le mérite qu’il peut y avoir à juxtaposer avec à-propos des empâtemens ou des frottis pour simuler le relief d’une broderie d’or ou la transparence d’une draperie de gaze. Assurément des habiletés de cet ordre sont les moindres de toutes, et la science qu’exige l’imitation de la nature animée commande un tout autre respect ; mais quand, elles se concilient, et c’est le cas ici, avec un sentiment de la couleur à la fois neuf et exquis, il n’y a que justice à en tenir grand compte et à signaler comme intéressant aussi l’intelligence ces combinaisons ou ces contrastes matériels.

Et d’ailleurs le talent du peintre de Salomé consiste-t-il tout entier dans la dextérité avec laquelle des étoffes chatoyantes et des objets de toute espèce sont interprétés ou rendus ? Cet instinct de l’harmonie pittoresque ne se trahit-il que par le coloris des vêtemens, des tapis, des accessoires ? On serait mal fondé à le prétendre, puisque les parties nues de la figure présentent au même degré les qualités qui distinguent le reste, et qu’elles se recommandent en outre par une expression de vie toute particulière, par un caractère aussi vraisemblable qu’imprévu. Le visage souriant, mais d’un sourire sauvage et comme endurci par l’inertie de la pensée, respire, sous l’épaisse chevelure noire qui l’ombrage, une sorte de grâce sinistre, d’autant plus accentuée que la demi-teinte répandue sur l’ensemble des traits contraste avec la lumière qui inonde la poitrine et les, paules. Ingres, aux yeux de qui « l’art de modeler dans