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le clair » était le mérite nécessaire d’un peintre appelé à représenter une figure de femme, Ingres lui-même, malgré les réserves qu’il aurait certainement faites quant au style, n’aurait-il pas approuvé l’ampleur de pinceau et la limpidité de l’on qui donnent à tout le buste de Salomé l’unité d’un marbre animé, sinon l’aspect même de la nature ? En tout cas, Delacroix n’aurait pas manqué d’apprécier l’extrême délicatesse avec laquelle la transparence de l’ombre qui enveloppe les jambes en laisse deviner le frais coloris, et peut-être le peintre des Femmes d’Alger aurait-il reconnu là quelque chose de ses propres aptitudes, un nouveau témoignage de cette finesse suave dont il lui est arrivé de faire preuve à ses meilleurs momens.

On le voit, sans ressembler formellement à aucun d’eux, M. Regnault en réalité sent et procède à la manière des maîtres. Tout en se défendant avec affectation de continuer l’entreprise des autres et d’accepter en quoi que ce soit les traditions, il réveille par les preuves de son talent même les souvenirs qu’il voudrait anéantir, les comparaisons qu’il entend répudier. M. Regnault est un peintre, c’est-à-dire un homme doué de facultés spéciales, d’un vif instinct des beautés extérieures et des moyens matériels qui permettent de les imiter ; il peut devenir un maître, s’il consent à ne pas abuser de ces dons, à ne pas afficher une originalité qui n’a besoin pour être estimée à son prix ni d’autant de fracas, ni d’autant d’étalage. La jeunesse de l’artiste et les progrès qu’il a déjà faits autorisent à cet égard les espérances. La Salomé de cette année vaut beaucoup plus que le portrait équestre du général Prim exposé l’année dernière et que la Judith qui figurait à l’École des Beaux-Arts parmi les envois de Rome. Que M. Regnault accepte son succès présent comme un stimulant pour de nouveaux efforts, comme un encouragement à mieux faire, il justifiera pleinement ce qu’on est en droit d’attendre de lui.

Passer sans transition du tableau de M. Regnault à la Vérité, peinte par M. Jules Lefebvre, c’est à coup sûr rapprocher les contraires et résumer dans deux termes extrêmes quelques-unes des tendances qui divisent aujourd’hui notre école. Ici en effet, nulle préoccupation de la coquetterie pittoresque, nulle recherche de ces nouveautés dans la couleur, de ces vivacités de touche qui donnent à l’œuvre de M. Regnault sa physionomie brillante et son accent. La manière de M. Lefebvre, scrupuleuse jusqu’à la minutie, correcte jusqu’à la froideur, a quelque chose d’impassible et, si l’on veut, d’irréprochable qui, loin de s’emparer violemment du regard, ne l’attire qu’avec la prétention de le persuader, de ne lui laisser rien à pressentir, rien à deviner. On dirait presque de la figure exposée par M. Lefebvre qu’elle est trop bien peinte. Ces chairs, à force de