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la force nécessaire pour oser faire acte d’originalité. Suit-il de là que tout sculpteur étranger par son passé à l’école de Rome soit nécessairement sans talent ? Il serait absurde de le prétendre et de provoquer ainsi des démentis justifiés de reste par l’éclat de certaines œuvres ou la notoriété de certains noms. Ce que nous voulons rappeler seulement, ce que le Salon de 1870 achève de mettre en lumière, c’est l’influence salutaire exercée sur notre art national par une institution dont l’unique tort en réalité serait d’avoir deux siècles d’existence et de représenter, pour quelques esprits superficiels, une tradition surannée, une habitude d’ancien régime.

Nous ne pouvons que mentionner presque sans commentaires le Mercure s’apprêtant à tuer Argus par M. Hector Lemaire, ouvrage estimable, mais rappelant trop la composition de Thorvaldsen sur le même sujet, — l’Enlèvement de Déjanire par M. Schœnewerk, groupe en bronze bien ordonné, mais dont l’exécution est un peu molle et ronde, — la Somnolence, figure de femme dans laquelle M. Leroux a fait preuve de talent et en même temps d’une curiosité d’outil telle que le marbre semble avoir perdu à ce jeu quelque chose de sa solidité pour prendre, ou peu s’en faut, l’inconsistance de l’albâtre, — le Tombeau du cardinal Morlot par M. Lescorné le colossal Crépuscule de M. Grauk, et la statue équestre en bronze de Louis d’Orléans, frère de Charles VI, par M. Frémiet, — enfin les bustes, recommandables à divers titres, sculptés par MM. Iselin, Varnier, Frison et Franceschi. D’autres ouvrages sans doute mériteraient d’être cités ; mais, comme nous le disions tout à l’heure à propos des peintures, notre attention doit principalement se porter sur les talens assez près encore de leurs débuts pour autoriser des espérances ou pour réclamer des encouragemens. Voilà pourquoi, avant de clore cet examen de l’exposition de sculpture, nous indiquerons de préférence à quelques travaux signes de noms déjà connus deux modèles de statues par des artistes dont nous n’avions rien vu ou du moins rien remarqué jusqu’ici.

L’une de ces figures, un Rapsode, par M. Morice, est une œuvre finement traitée tant au point de vue du style que quant à l’imitation même des formes. Nu et assis à terre, le rapsode étend le bras droit en avant comme pour lancer à ses auditeurs le trait poétique qui vient de s’échapper de ses lèvres, tandis que son bras gauche, s’arc-boutant sur la cuisse, élargit de ce côté la silhouette, et donne aux lignes une plénitude qui permet d’en embrasser l’ensemble d’un coup d’œil. L’exécution de l’œuvre a une véritable élégance, une élégance réglée par le goût et par un sentiment délicat de la mesure. L’autre figure, sur le socle de laquelle on lit ces mots : Au gui l’an neuf, représente un jeune Gaulois, ou plutôt un jeune