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étrangère où l’ombre est maîtresse, où les sources abondent, où l’amour rafraîchit ou noie le cœur, mais ne l’échauffé ni ne l’incendie.


II. — LES PEINTRES VENITIENS A ROME.

Toutes les écoles d’Italie sont représentées dans les galeries de Rome par de beaux échantillons, mais trop peu nombreux pour servir de base à un jugement. Il y a là quelques charmans Corrège, de délicieux André del Sarto, des Francia à la grâce sévère, tel adorable fra Lippo Lippi à la galerie Doria, telle séduisante madone de Gaudentio Ferrari à la galerie du Capitole, etc. ; mais ce n’est point à Rome qu’on doit aller pour étudier ces maîtres. Il faut donc se contenter de la volupté passagère, du plaisir de détail que donnent leurs œuvres isolées, qui d’ailleurs ne peuvent pas ajouter grand’chose à la connaissance qu’un Parisien lettré doit avoir de quelques-uns de ces maîtres. Il n’y a pas d’André Sarto à Rome qui vaille la Charité du Louvre, et quiconque a vu l’Antiope et le Mariage de sainte Catherine en sait autrement long sur le Corrège que celui qui ne le connaîtrait que par les échantillons trop clair-semés des galeries Doria et du Vatican. Cependant nous voulons faire une exception en faveur des Vénitiens, et cela pour deux raisons : la première, c’est que leurs œuvres sont à Rome beaucoup plus nombreuses que celles des autres écoles ; la seconde, c’est que les échantillons de leurs génies qui s’y rencontrent soutiennent la comparaison avec ceux que nous possédons et l’emportent quelquefois. Le voyage de Rome étend vraiment la connaissance qu’un Français peut posséder du Titien et de Véronèse, et le fait entrer d’un degré plus avant dans leur intimité.

On a souvent mis en doute le christianisme des grands maîtres de l’Italie, et, selon moi, très à tort ; mais, pour ce qui concerne les Vénitiens, il faut bien avouer que la religion a eu la plus faible part de leurs préoccupations. Je comparerais volontiers le rôle qu’ils ont donné au christianisme dans leurs peintures à la politique traditionnelle que la république de Venise observa toujours à l’égard de l’église, se mêlant à ses affaires le moins possible et évitant sagement de prendre avec elle aucun engagement trop étroit. Venise l’expérimentée sembla toujours penser comme le sagace Guicciardini qu’une prudente réserve était particulièrement nécessaire en ces matières. Les peintres vénitiens agissent ainsi avec les sujets religieux ; sans les repousser, ni même refuser de les traiter selon l’esprit qui leur est propre, ils ne s’abandonnent jamais à l’enthousiasme qu’ils peuvent inspirer : ils ont prêté ou loué leurs pinceaux