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avait une devise qui visait plus haut que de raison quand il disait que l’Amérique appartient aux Américains, et que la république du nord ne doit pas souffrir sur le même continent autre chose que des républiques. C’est encore de l’excès, de la jactance, mais avec un sentiment de grandeur ; on ne sort pas des formules chevaleresques. Pour en trouver qui n’aient ni grandeur ni raison, il faut arriver à ces derniers temps. Telle est celle-ci : qu’en toute chose les États-Unis doivent prendre à tâche de se suffire et évincer l’Europe des marchés américains, dont elle n’a que trop abusé. Plus rien alors de fier ni de noble ; les choses dégénèrent en querelles de marchands. Des rancunes s’y mêlent sans doute, et très légitimes, comme on le sait. L’Angleterre et la France ont inconsidérément pris parti contre l’Union américaine lorsqu’elle a eu à lutter sur son propre sol, non pour un intérêt ni pour une ambition, mais pour un principe que ces deux puissances, plus fidèles au sens moral et à leurs traditions, auraient dû considérer comme sacré. L’une a toléré et encouragé la course contre celui des belligérans qui représentait la cause dont elle a été le premier champion ; l’autre, campée sur les frontières de la rébellion, a menacé l’œuvre à laquelle tant de mains françaises ont autrefois concouru ; il n’a dépendu d’aucune des deux que l’esclavage ne survécût encore à cette guerre, où tant d’hommes libres versèrent leur sang pour l’abolir : tristes inconséquences qu’il est difficile d’oublier et de pardonner. Qu’un cas de guerre fût au bout, on le conçoit, et, moins épuisée, cette fière nation américaine en eût couru la chance ; elle n’y avait pas manqué en 1813, quand elle n’était qu’un embryon. A défaut de ces fortes représailles, pourquoi recourir à des jeux d’enfans, à des piqûres d’épingle qui montrent qu’on ne peut ou qu’on ne veut pas se servir de l’épée ? pourquoi ces tarifs enfin qui blessent au moins autant ceux qui s’en font une arme que ceux contre lesquels on les dirige ?

Il y avait mieux à faire, et les échecs essuyés depuis cinq ans le prouvent bien. On s’est risqué sur un terrain qui n’est pas celui de la tradition, on a rompu avec l’histoire ; or tout conseille de se réconcilier avec l’histoire et de rentrer dans la tradition. Comment ? Le voici. La paix une fois conclue, il fallait se demander par quels moyens l’Union était arrivée en moins de soixante ans à un degré de fortune que son déchirement avait seul interrompu, et qui la mettait au niveau des plus grands empires du globe ; puis, cette recherche faite, il restait à considérer si, sans dépenses d’imagination, les mêmes moyens ne suffiraient pas pour réparer les brèches que les événemens avaient ouvertes dans cette fortune, tout cela simplement et avec la volonté de n’être dupe de personne, pas plus des