manières de concevoir la géométrie suffisent pour expliquer comment la politique de Montesquieu est si différente de celle de Hobbes.
Hobbes cependant a eu des admirateurs ; il a encore un petit nombre d’adeptes. Il possédait plus d’un genre de mérite. Il pensait par lui-même, et il a passé sa vie à penser. Quoique tout ne soit pas neuf dans ses écrits, son système est original. Il ne paraît pas qu’il l’ait tiré d’aucune source étrangère ; il l’a créé par la seule force de son esprit. Il a eu deux idées justes : l’une qu’il fallait commencer la philosophie par l’étude de l’esprit humain, l’autre que la philosophie politique doit avoir pour fondement une philosophie de l’esprit humain. De ces deux idées, Descartes avait eu la première avant lui ; mais, quoique Hobbes n’en ait rien publié que cinq ans après Descartes, il ne parait pas s’être décidé par son exemple. Sa psychologie, au rebours de celle de Descartes, manque par les principes ; mais il prend sa revanche dans les détails. Sur l’association des idées, sur la marche du raisonnement, sur l’emploi des mots, sur les causes de l’erreur, Hobbes abonde en observations justes, neuves, ingénieuses ; avant Locke, nul en ce genre ne l’a égalé. On peut dire qu’il a beaucoup contribué à donner à l’association des idées le grand rôle qu’elle joue dans la psychologie anglaise. Grâce à Hartley et à ses successeurs, elle est devenue le principe le plus général des phénomènes de la raison humaine. La vérité, dans l’école de M. Stuart Mill, n’est plus que cette liaison involontaire et forcée qu’opère entre nos perceptions leur succession ou leur coïncidence.
Mais le plus grand mérite de Hobbes et la cause principale de son succès, c’est sa manière de composer et d’écrire. Il aborde directement son sujet, va au but, et n’abandonne pas une question qu’il ne croie l’avoir résolue. Excepté lorsque sa vanité s’échauffe dans la polémique, le ton de ses ouvrages est excellent. On était las de la science aux allures scolastiques ; on se lassait de l’enseignement sous forme de prédication théologique. Hobbes parle en laïque et en homme du monde. Bacon avait donné l’exemple. Hobbes assurément a moins d’imagination, moins d’éloquence, même moins d’esprit ; mais il en a encore beaucoup. Sa langue est le véritable anglais moderne. Son style est froid, clair, simple, nerveux, rarement offusqué d’expressions techniques. Il parle avec une mâle liberté. Sa manière est tranchante, mais non pédantesque ; son latin même ne l’est pas. Il n’étale point d’érudition ; il est vrai qu’il n’avait lu que des historiens et des poètes, professant pour la littérature philosophique tout le dédain qui caractérise son école. Il a beaucoup contribué à donner à la philosophie le langage de tout le monde, et par là la véritable publicité.