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Peut-être aussi serait-il entré dans les chambres, et vraisemblablement, par attrait d’intelligence, au contact des hommes et des partis, il se serait laissé aller à un certain libéralisme qui aurait toujours eu néanmoins pour limite le respect affectueux de la royauté. Il aurait pu être un Lainé plus jeune, plus littéraire, plus libéral, représentant les générations nouvelles dans un gouvernement de tradition monarchique. La révolution de 1830 l’atteignait subitement dans son royalisme, dans sa fidélité aux Bourbons. Il n’avait pas conspiré d’opinion pour cette révolution, il ne triomphait pas avec elle, et il tint à marquer dès le premier instant sa situation en refusant de rester dans la carrière diplomatique qu’on lui promettait d’élargir et d’agrandir devant lui. Il obéissait, a-t-il dit, à « cette délicatesse de sentiment, peut-être plus chevaleresque que civique, qui semblait commander à un royaliste de naissance de tomber avec son roi qui tombe et de ne pas passer avec la fortune du camp du vaincu au camp du vainqueur. » Par le fait, cette révolution de 1830, qui arrivait si promptement à se contenir en se fixant dans une politique de transaction entre les opinions extrêmes, cette révolution avait pour Lamartine cet étrange et double résultat de briser en quelque façon le cadre naturel de leur vie première, et de les jeter par une sorte de réaction intime dans une carrière indéfinie pleine de tentations et d’illusions. C’était une crise morale en même temps que politique, épreuve inattendue et peut-être dangereuse pour l’intelligence, pour le caractère, pour l’esprit de conduite des hommes engagés dans un ordre d’événemens nouveaux.

La révolution de 1830 était pour Lamartine plus que pour tout autre un de ces coups qui ébranlent l’imagination, qui changent une destinée. Elle le jetait des fonctions régulières de la diplomatie dans l’indépendance, elle le surprenait à cette heure de sa vie où une ambition singulière fermentait en lui. Le poète aspirait à passer homme d’état, orateur, tribun de parlement. La politique, c’est l’éternelle tentation de ces magiciens de génie, de ces glorieux enivrés de popularité qui ont pris le goût de toutes les dominations retentissantes, qui se figurent qu’en charmant les hommes ils ont conquis le droit de les gouverner. Lamartine aurait voulu être député, il aurait voulu « monter sur la brèche pour y défendre la société européenne, assaillie par les partis de la guerre universelle et par les partis de la turbulence anarchique au dedans. « Il se présentait à la fois dans deux collèges électoraux, dans le Var et dans le département du Nord ; il ne réussit pas, il ne fut élu que deux ans plus tard, et ces deux années de retraite, de méditation, il les passait en Orient ; il faisait ce voyage un peu fastueux où il trouvait un grand deuil de cœur par la mort de son unique enfant, mais qui lui était apparu comme une sorte d’expédition d’Égypte d’où il se