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dans ses conclusions, et dont Platon, Descartes, Leibniz, faisaient le fond. Aristote y était suspect à beaucoup d’égards ; Spinoza n’y pouvait avoir sa place ; Kant, Schelling et Hegel, accueillis d’abord avec enthousiasme, en étaient définitivement exclus ; le nom de Maine de Biran y était tenu en grand honneur, sans que sa doctrine y entrât d’ailleurs pour une bien large part.

Tel a été le double caractère de la philosophie régnante jusqu’à ces dernières années. Au sein de cette école, qui, pour l’érudition et le talent littéraire, ne connut pas de rivale, l’initiative philosophique fut aussi rare et aussi faible que l’initiative historique fut fréquente et heureuse. On ne lui rendrait pas justice si l’on ne voyait en elle qu’une école de doctrine. Ce fut là son moindre mérite, quelles qu’aient été ses prétentions à cet égard. La doctrine a dû son autorité à la nature des sentimens qu’elle éveillait dans les âmes plus qu’à la force et à la vigueur des idées qu’elle répandait dans les esprits. Un tel spiritualisme pouvait faire illusion à un public avide de cet ordre de vérités autant que sensible aux charmes du style et de l’éloquence ; il ne tenait point devant l’analyse et la critique des juges sévères. Le vrai mérite, la gloire de l’éclectisme fut d’avoir été une grande école d’histoire qui a produit, sous l’inspiration de Victor Cousin, une série d’œuvres aussi remarquables par la qualité de l’érudition que par le talent de l’exposition. Voilà un titre que ne peuvent lui contester nos voisins d’outre-Rhin si dédaigneux de la science française. S’il y a une réserve à faire sur certaines de ces études, c’est à propos de la critique elle-même, à laquelle la trop constante préoccupation d’une doctrine n’a pas toujours laissé toute la liberté nécessaire. La polémique y entre pour une trop grande part, et le parti-pris y est trop évident contre certains systèmes qui font encore honneur à l’esprit humain par la difficulté des problèmes soulevés et par la grandeur des solutions proposées. On ne s’est pas assez souvenu que la philosophie doit être traitée comme une science, et que la science fait son profit de tous les sérieux efforts tentés pour faire avancer les questions. Telles erreurs d’un Aristote, d’un Plotin, d’un Spinoza, d’un Malebranche, d’un Leibniz, ont plus de prix que telles vérités banales qui ne sont souvent que des préjugés du sens commun.

Quoi qu’il en soit, la direction des esprits a changé depuis quelque temps. Il est manifeste qu’un vent nouveau souffle dans les régions de la philosophie, lequel, sans faire abandonner les études historiques, toujours chères à notre siècle, ramène peu à peu la pensée aux questions d’analyse et de théorie, qui font l’objet même de la science. L’esprit contemporain semble éprouver le besoin de se remettre en quête de solutions nouvelles. Avec une provision de