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On devait penser qu’à la première guerre cette dévastation de la vie humaine par des causes autres que la chance des combats serait considérablement diminuée, parce qu’on aurait appliqué au mal les remèdes si bien indiqués par les autorités médicales. On avait lieu d’espérer aussi que le nombre des médecins militaires serait accru, que les moyens mis à leur disposition seraient augmentés, qu’en fait d’instrumens et d’outils propres aux opérations chirurgicales on en aurait à profusion, car enfin, si l’on gaspille quelque chose, il vaut mieux que ce soient des ustensiles de chirurgie que la vie des hommes. On a le regret d’être forcé de dire que ces prévisions si naturelles ne se sont point réalisées dans la campagne d’Italie, qui suivit, à trois ans d’intervalle, la guerre de Crimée. Il y a eu dans cette campagne un peu moins d’un médecin par mille hommes, 132 pour 160,000 hommes. Après les batailles, l’insuffisance a été au-delà de tout ce qu’on peut imaginer : pour des milliers de blessés qu’il fallait opérer immédiatement, une poignée de chirurgiens ; 9 médecins de l’armée française à Milan pour plus de 8,000 blessés après la victoire de Solferino ! Pas d’infirmiers ou à peine quelques-uns ; on a dû employer à leur place des musiciens absolument inexperts. Peu ou point de couvertures, si peu de linge que dans certains cas les médecins déclarent avoir fait requérir des habitans une certaine quantité de mousse. Défaut de médicamens, et, ce qui est plus fort, absence d’une partie des instrumens de chirurgie les plus indispensables ; les boîtes à résection sont on ne sait où, alors qu’on a des milliers de blessés sur les bras. La pénurie est telle qu’on est trop heureux, à Novare, de trouver une boîte à amputations à emprunter d’un médecin des environs. Pour tout caractériser d’un mot, des hommes blessés à Solferino sont restés cinq jours sur le champ de bataille sans qu’on les ramassât, et 800 blessés de la même provenance n’ont pu être nourris pendant quatre jours que par la commisération publique, c’est un des médecins qui le déclare.

Heureusement la campagne d’Italie se faisait dans une belle saison, et on n’y a aucunement rencontré l’humidité et le froid, causes de tant de morts en Crimée. Heureusement aussi le pays peuplé et riche où l’action se passait offrait beaucoup plus de ressources que l’ancienne Chersonèse. Heureusement enfin la campagne d’Italie fut extrêmement courte, et pourtant, quelle qu’en ait été la brièveté, on remarquait déjà, parmi les troupes qui étaient en ligne à Solferino et à Magenta, le commencement de maladies générales venant d’infractions à l’hygiène, particulièrement d’un régime alimentaire défectueux et de l’absence de couvertures la nuit. Si la guerre avait duré six mois, en supposant, ce que je reconnais pour