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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/170

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lequel il fit au roi une piqûre d’épingle, le mot est de Voltaire, Le coupable dit dans ses interrogatoires qu’il n’avait voulu donner au roi qu’un avertissement, et ce n’est pas sans vraisemblance. Le choix de l’arme et la nature de la blessure le feraient croire, Le parlement, auquel il fut livré, et qui le jugea suivant les règles, ne se contenta pas de le condamner à mort. Dans l’emportement de son zèle monarchique, et pour faire sa cour aux dépens d’un insensé, il décida de lui faire souffrir mille morts l’une après l’autre. La sentence, qui fut suivie à la lettre, portait qu’on brûlerait sur un réchaud la main qui avait tenu l’arme régicide, qu’ensuite on lui tenaillerait les chairs, qu’on verserait dans les plaies du plomb fondu, et qu’après ces effroyables préliminaires, il serait tiré à quatre chevaux et jeté au bûcher. J’ai retrouvé deux récits de l’exécution tracés par des témoins oculaires, l’un entre autres nommé Bouton, qui était un exempt. On s’empara du malheureux condamné à six heures du matin ; on le promena de cérémonie en cérémonie jusqu’à ce qu’enfin, à trois heures et demie, il fût en place de Grève. Parmi ces préparatifs, il y eut la question aux brodequins, où on le tint une heure et demie. A quatre heures et demie seulement, il fut déshabillé pour le supplice. Conformément à toutes les prescriptions de l’arrêt, il eut donc le poing coupé et ensuite il fut tenaillé, ce qui fut fait avec un zèle sans égal par un des aides. Après l’arrosage des plaies au plomb fondu, pratiqué de même en conscience de bourreau, on dut lui attacher les cordes que les chevaux devaient tirer. On s’y prit de façon à lui « faire souffrir des maux inexprimables. » Les chevaux, qui étaient de fortes bêtes, s’y reprirent à plusieurs fois pour arracher les membres. Furieux de ne pas réussir, les bourreaux se répandaient en juremens. Damiens les engageait à ne pas jurer, ajoutant qu’ils avaient à faire leur métier, qu’il ne leur en voulait pas, et leur demandant qu’ils priassent Dieu pour lui. Deux prêtres étaient à portée, il leur cria ; baisez-moi, messieurs ; l’un d’eux, passant sous la corde d’un des chevaux, vint en effet lui donner un baiser. Cependant les chevaux, qu’on venait de doubler aux jambes, n’en parvenaient pas mieux à l’écarteler, quoique les jointures eussent été disloquées. L’exécuteur alors tira son couteau, dit à un de ses aides d’en faire autant, et ils détachèrent ainsi bras et jambes. Le tronc respirait encore quand on le jeta dans les flammes. Il était environ six heures et demie. Le supplice, dit le sieur Bouton, avait duré, à partir du poing brûlé, neuf quarts d’heure.

Les cannibales, dont le bonheur est de faire périr leurs prisonniers dans les tortures, n’ont jamais inventé rien de plus féroce. En comparaison, le supplice du duc d’Aveiro fut presque humain, si l’on peut appliquer un tel mot à une chose si horrible. La cour