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que sur une superficie qui serait relativement très petite. Quant au mur de l’enceinte continue, il possède des conditions toutes particulières. Alors que dans la plupart des places le bastion auquel l’attaque essaie de faire brèche ne reçoit de secours que des deux bastions voisins, à droite et à gauche, l’immensité de l’enceinte de Paris fait qu’elle se présente à peu près partout suivant une ligne presque droite. Il en résulte qu’elle fait face à l’assiégeant, qu’il est très difficile de la prendre d’écharpe et impossible de l’envelopper dans ces feux convergens qui font tant de mal à l’assiégé. Au lieu d’être forcée de subir la supériorité numérique de l’artillerie ennemie, elle est assurée de pouvoir maintenir l’égalité du feu, et, comme les bastions sont très rapprochés les uns des autres (en moyenne à moins de 400 mètres), comme les saillans s’avancent très peu, comme les faces en sont au contraire très développées, il en résulte que chacun d’eux peut compter sur l’appui de ses quatre voisins de droite et de ses quatre voisins de gauche, si bien que dans certains cas il pourrait arriver, contrairement à l’ordinaire, que la supériorité du feu appartiendrait à l’assiégé.

Disposant de pareils moyens, la défense doit être illimitée ; la population de Paris y est résolue, elle sait que son honneur y est attaché. Dans le cas le plus défavorable, la défense ne saurait être inférieure comme durée à l’effort de l’ennemi, qui doit venir expirer sous les murs de la capitale. Quelques jours, quelques semaines de persévérance, et cette guerre, commencée sous de si douloureux auspices, finira glorieusement. L’ennemi, qui s’affaiblit à mesure qu’il avance, l’ennemi, que le temps presse parce qu’il sent que le temps combat pour nous, l’ennemi paiera cher son audacieuse tentative, il la paiera d’autant plus cher que nous saurons le retenir plus longtemps devant nos imprenables citadelles. Lorsqu’à bout de ressources il lui faudra enfin battre en retraite, pressé qu’il sera par les deux grandes armées qui se trouvent déjà sur ses flancs et sur ses derrières, poursuivi par la nouvelle armée qui se forme sur la Loire, harcelé par les populations que ses exactions et ses insultes ont révoltées, il verra sa retraite se terminer par un désastre mémorable. Tout cela dépend de la patience et du courage que Paris saura montrer, et bien moins surtout de la puissance de l’ennemi, qui espère dans nos discordes, que de l’union, de la discipline et de l’obéissance dont nous saurons tous faire preuve pour le salut commun. La fortune de la patrie est dans nos mains, montrons qu’elle n’a pas été confiée à des mains indignes, et à la France, qui nous regarde avec une si poignante anxiété, prouvons qu’elle ne s’est pas trompée en croyant que Paris fera son devoir.


XAVIER RAYMOND.


C. BULOZ.