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ont cru pouvoir avancer hardiment que l’aquiculture marine était une utopie, parce que, disaient-ils, la mer n’est fertile que sur une zone étroite du littoral. Le fait est vrai d’ailleurs, et il s’explique de plusieurs manières. D’abord tous les poissons, jusqu’aux plus inoffensifs en apparence, sont carnassiers ; la nécessité de chercher des proies telles que les mollusques, les annélides, les pousse vers les côtes. Ensuite on sait que la mer porte au rivage les débris parsemés à sa surface, et c’est encore l’abondance de ce butin qui attire les espèces marines. Il est donc très vrai que les poissons de mer font station près des rivages ; mais cela ne nous empêche pas de croire que l’aquiculture marine pourra devenir l’une des grandes sources de l’alimentation générale. La mer a toujours contribué, dans une mesure importante, à la satisfaction de nos besoins, quoique l’homme ne lui demande que le croît du hasard, et fasse tout son possible pour en dilapider le fonds et les produits. Au resté, il y a si peu de temps que les premiers essais de piscifacture et l’aquiculture ont été tentés sur ce champ immense, ils ont eu si peu d’importance relative, qu’il nous semblerait très imprudent de prononcer une condamnation, même provisoire. Nous pensons au contraire qu’il y a d’immenses résultats à attendre de l’aquiculture marine, par la raison même qui les a fait nier. Puisque le poisson se tient de préférence le long des côtes, il n’en est que mieux placé sous la main de l’homme et plus facile à soumettre à la culture. Cette culture peut être envisagée de deux manières : on peut se contenter de favoriser la reproduction naturelle par des aménagemens raisonnés sur le terrain, ou bien recourir à des reproductions artificielles, soit en fécondant les œufs pour en élever les produits, soit en récoltant des individus en bas âge pour les enfermer dans des enclos où la mer, deux fois par jour, apporte avec la marée la nourriture nécessaire ; le premier de ces systèmes a jusqu’à présent médiocrement réussi ; mais aussi combien peu d’efforts ont été tentés en définitive la tâche étant entièrement livrée à l’initiative individuelle ! Le second au contraire est victorieusement expérimenté, surtout pour une espèce précieuse, le turbot. On récolte ce poisson par immenses quantités sur les plages sableuses de la Bretagne, où il vient au bord lorsqu’il a de 2 à 5 centimètres de diamètre, on le dépose dans des bassins fermés communiquant avec la mer, et il y prend les plus fortes dimensions dans un temps relativement assez court pour que cette spéculation devienne très productive. Nous comprenons qu’une mer sans marée permette aux auteurs du midi de jeter un doute sur de pareilles réussites ; mais, l’Océan et ses annexes fournissant une abondante nourriture quotidienne aux poissons enfermés dans les enceintes, nous sommes autorisés à dire que le concours immense de la mer à