personnification de l’Allemagne, c’est Goethe. Quoi de moins prussien que Goethe ? Qu’on se figure ce grand homme à Berlin et le débordement de sarcasmes olympiens que lui eussent inspirés cette roideur sans grâce ni esprit, ce lourd mysticisme de guerriers pieux et de généraux craignant Dieu ! Une fois délivrées de la crainte de la France, ces populations fines de la Saxe, de la Souabe, se soustrairont à l’enrégimentation prussienne ; le midi en particulier reprendra sa vie gaie, sereine, harmonieuse et libre.
Le moyen pour que cela arrive, c’est que nous ne nous en mêlions pas. Le grand facteur de la Prusse, c’est la France, ou, pour mieux dire, l’appréhension d’une ingérence de la France dans les affaires allemandes. Moins la France s’occupera de l’Allemagne, plus l’unité allemande sera compromise, car l’Allemagne ne veut l’unité que par mesure de précaution. La France est en ce sens toute la force de la Prusse. La Prusse (j’entends la Prusse militaire et féodale) aura été une crise, non un état permanent ; ce qui durera réellement, c’est l’Allemagne. La Prusse aura été l’énergique moyen employé par l’Allemagne pour se délivrer de la menace de la France bonapartiste. La réunion des forces allemandes dans la main de la Prusse n’est qu’un fait amené par une nécessité passagère. Le danger disparu, l’union disparaîtra, et l’Allemagne reviendra bientôt à ses instincts naturels. Le lendemain de sa victoire, la Prusse se trouvera ainsi en face d’une Europe hostile et d’une Allemagne reprenant son goût pour les autonomies particulières. C’est ce qui me fait dire avec assurance : La Prusse passera, l’Allemagne restera. Or l’Allemagne livrés à son propre génie sera une nation libérale, pacifique, même démocratique dans le sens légitime ; je crois qu’elle fera faire aux problèmes sociaux des progrès remarquables, et que plusieurs idées qui chez nous ont revêtu le masque effrayant de la démocratie socialiste se produiront chez elle sous une forme bienfaisante et réalisable.
La plus grande faute que pourrait commettre l’école libérale au milieu des horreurs qui nous assiègent, ce serait de désespérer. L’avenir est à elle. Cette guerre, objet des malédictions futures, est arrivée parce qu’on s’est écarté des maximes libérales, maximes qui sont en même temps celles de la paix et de l’union des peuples. Le funeste désir d’une revanche, désir qui prolongerait indéfiniment l’extermination, sera écarté par un sage développement de la politique libérale. C’est une fausse idée que la France puisse imiter les institutions militaires prussiennes. L’état social de la France ne veut pas que tous les citoyens soient soldats, ni que ceux qui le sont le soient toujours. Pour maintenir une armée organisée à la prussienne, il faut une petite noblesse ; or nous n’avons pas de