noblesse, et, si nous en avions une, le génie de la France ferait que nous en aurions plutôt une grande qu’une petite. La Prusse fonde sa force sur le développement de l’instruction primaire et sur l’identité de l’armée et de la nation ; étant, comme dirait Plutarque, d’un tempérament plus vertueux que la France, elle peut porter des institutions qui, très largement appliquées, donneraient peut-être chez nous des fruits tout différens, et seraient une source de révolutions. La Prusse touche en cela le bénéfice de la grande abnégation politique et sociale de ses populations. En obligeant ses rivaux à soigner l’instruction primaire et à imiter sa landwehr (innovations qui, dans des pays catholiques et révolutionnaires, seront probablement anarchiques), elle les force à un régime sain pour elle, malsain pour eux, comme le buveur qui fait boire à son partenaire. un vin qui l’enivrera, tandis que lui gardera sa raison.
En résumé, l’immense majorité de l’espèce humaine a horreur de la guerre. Les idées vraiment chrétiennes de douceur, de justice, de bonté, conquièrent de plus en plus le monde. L’esprit belliqueux ne vit plus que chez les soldats de profession, dans les classes nobles du nord de l’Allemagne. La démocratie ne comprend pas le point d’honneur militaire. Le progrès de la démocratie sera la fin du règne de ces hommes de fer, survivans d’un autre âge, que notre siècle a vus avec terreur sortir des entrailles du vieux monde germanique. Quelle que soit l’issue de la guerre actuelle, ce parti sera vaincu en Allemagne. La démocratie lui a compté les jours. J’ai des appréhensions contre certaines tendances de la démocratie, et je les ai dites ici, il y a un an, avec sincérité ; mais certes, si la démocratie se borne à débarrasser l’espèce humaine de ceux qui, pour la satisfaction de leurs vanités et de leurs rancunes, font égorger des millions d’hommes, elle aura mon plein assentiment et ma reconnaissante sympathie.
Le principe des nationalités indépendantes n’est pas de nature, comme plusieurs le pensent, à délivrer l’espèce humaine du fléau de la guerre ; au contraire j’ai toujours craint que le principe des nationalités ne fît dégénérer les luttes, des peuples en exterminations de race, et ne chassât du code du droit des gens ces tempéramens, ces civilités qu’admettaient les petites guerres politiques et dynastiques d’autrefois. On verra la fin de la guerre quand, au principe des nationalités, on joindra le principe qui en est le correctif, celui de la fédération européenne, supérieure à toutes les nationalités. Des naturalistes allemands qui ont la prétention d’appliquer leur science à la politique soutiennent, avec une froideur qui voudrait avoir l’air d’être profonde, que la loi de la destruction des races et de la lutte pour la vie se retrouve dans