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l’histoire, que la race la plus forte chasse nécessairement la plus faible, et que la race germanique, étant plus forte que les races latine et slave, est appelée à les vaincre et à se les subordonner. Laissons passer cette dernière prétention, quoiqu’elle pût donner lieu à bien des réserves. N’objectons pas non plus à ces matérialistes transcendans que le droit, la justice, la morale, choses qui n’ont pas de sens dans le règne animal, sont des lois de l’humanité ; des esprits si dégagés des vieilles idées nous répondraient probablement par un sourire. Bornons-nous à une observation : les espèces animales ne se liguent pas entre elles. On n’a jamais vu deux ou trois espèces en danger d’être détruites former une coalition contre leur ennemi commun ; les bêtes d’une même contrée n’ont entre elles ni alliances ni congrès. Le grand principe fédératif, gardien de la justice, est ainsi la base de l’humanité. Là est la garantie des droits de tous ; il n’y a pas de peuple européen qui ne doive s’incliner devant un pareil tribunal. Toutes les grandes hégémonies militaires, celle de l’Espagne au XVIe siècle, celle de la France sous Louis XIV, celle de la France sous Napoléon, ont abouti à un prompt épuisement. Que la Prusse y prenne garde, sa politique radicale peut l’engager dans une série de complications dont il ne lui soit plus loisible de se dégager ; un œil pénétrant verrait peut-être dès à présent le nœud déjà formé de la coalition future. Les sages amis de la Prusse lui disent tout bas, non comme menace, mais comme avertissement : Vœ victoribus !


ERNEST RENAN.