Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Dans les cas d’épidémie, c’est à Bicêtre et à la Salpêtrière que l’assistance publique demande secours ; on profite des vastes dimensions de ces deux établissemens pour y installer des malades. Pendant la contagion variolique qui, cet été, a sévi sur Paris, on avait organisé un service de varioleux à la Salpêtrière, dans des bâtimens condamnés à tomber bientôt, et un service de convalescens à Bicêtre. Ce n’est pas la place qui manque, car, si Bicêtre rappelle une petite sous-préfecture, la Salpêtrière ressemble à une sous-préfecture de première classe. C’est vraiment une ville. Elle s’étend sur une superficie de 31 hectares (308,821 mètres), et comprend quarante-cinq corps de logis recevant le jour de 4,682 fenêtres. La population de la Salpêtrière au 31 décembre de 1869 était de 4,551 âmes. C’est du reste, croyons-nous, le plus grand hospice connu dans le monde entier. Dans les hôpitaux ordinaires, c’est le portier qui est cantinier et qui débite aux pensionnaires les denrées autorisées. Ici, il ne peut en être de même, la population est trop considérable ; aussi, en dehors d’une cantine générale, qui ne diffère que bien peu de celle de Bicêtre, a-t-on été obligé d’ouvrir, à l’intérieur même de la maison, un véritable marché, où l’on rencontre des fruitiers, des épiciers, un café, des marchands de tabac. J’ai vu là quatre ou cinq vieilles femmes qui fumaient gravement leur pipe. Comme je m’approchais, elles se sont levées en me faisant le salut militaire, et j’ai reconnu d’anciennes vivandières de régiment. Il est dans le marché une boutique qui, plus que toute autre, est constamment en activité, c’est celle de la blanchisseuse, qui, malgré les nombreuses ouvrières qu’elle emploie, ne parvient pas à satisfaire « toutes ses pratiques, » tant elle a de fichus et de bonnets à blanchir, à repasser, à plisser, à tuyauter, à goudronner. La coquetterie des pensionnaires est inexprimable, et, lorsque vient le jour de visite ou le jour de sortie, elles n’ont ni fin ni cesse pour affubler leurs vieilles personnes de quelque bel affiquet tout battant neuf.

Cette coquetterie est-elle tout à fait platonique ? Si l’on pouvait lire les correspondances qui bien souvent sont échangées entre Bicêtre et la Salpêtrière, on hésiterait à en répondre. Lorsque pour les besoins du jardin, pour des transports de bois, pour ce que l’on appelle les gros ouvrages, on fait venir au boulevard de l’Hôpital quelques-uns des pensionnaires les moins invalides de Bicêtre, on ne peut imaginer de quels soins ils deviennent immédiatement l’objet de la part des pauvres vieilles, qui les regardent passer avec des regards pleins d’attendrissement. Si elles maudissent quelque chose, ce n’est point leur âge, c’est la discipline qui les arrête plus souvent qu’elles ne voudraient. Leur cœur est encore si faible, si