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enclin aux doux épanchemens, que, le dimanche et le jeudi, pendant les trois, heures réglementaires où l’entrée de l’hospice est rendue publique, on est obligé de les surveiller d’une façon toute spéciale pour les empêcher de donner leur ration à de vieux gueux sans vergogne qui, sous prétexte de venir les voir, se font nourrir par elles, et leur extorquent les quelques sous qu’elles ont pu gagner pendant la semaine.

La compassion intéressée qu’elles éprouvent pour les débris du sexe auquel elles n’appartiennent pas, elles ne la ressentent guère les unes pour les autres. Entre elles, ces femmes sont acariâtres, sottisières et mauvaises. Elles se disputent sans cesse, se prennent au bonnet, et l’on a bien de la peine à rétablir la concorde. Lorsqu’elles entrent à l’hospice, emportées par la mobilité d’impression naturelle aux femmes, elles se lient avec leurs compagnes de chambrée, leur racontent tout ce qu’elles ont fait, et se livrent parfois à des confidences qui ressemblent bien à des confessions. Ces belles amitiés ne durent guère, les disputes leur succèdent, et, comme les pensionnaires de l’hospice sont aussi fortes en gueule que les servantes de Molière, Dieu sait avec quelle acrimonie, quels verbes violens, elles se reprochent ce que la veille peut-être elles se sont confié avec tant d’abandon. Si, dans des heures d’épanchement, elles se sont entre elles dévoilé leur passé, elles le cachent soigneusement à l’administration. Il y a parmi ces femmes des domestiques, de petites boutiquières, des marchandes des quatre-saisons, des ouvrières ; on y a retrouvé des femmes colosses qui avaient eu leur jour de célébrité dans les foires, des filles vieillies que la prostitution avait inscrites sur ses registres. C’est à la Salpêtrière que mourut la femme du fameux Coignard, le faux comte Pontis de Sainte-Hélène, et là aussi que sont venues finir, hideuses, et hébétées, bien des femmes qui, au temps de leur jeunesse, avaient vu à leurs pieds tout le Paris de l’élégance. Celles-ci, il est presque facile de les reconnaître ; elles ont conservé dans le regard une sorte d’impudence volontaire qui se mêle à une expression de tristesse indicible. Si elles ont été belles jadis, on ne s’en aperçoit guère ; la plupart sont d’une laideur inexprimable. Couchées dans leur lit, la tête couverte du bonnet blanc, le drap ramené sur les épaules, elles ressemblent à de vieux hommes ; elles ont la voix rauque et de la barbe au menton. Beaucoup d’entre elles, flottant entre le retour à l’enfance et la mort, sont tellement affaiblies qu’elles ne peuvent supporter ni reproches ni observations ; elles ont peur de tout, et, quand on les regarde, elles se mettent à pleurer. D’autres au contraire, énergiques et très vivantes malgré leur âge, oscillent entre la folie et la raison. En général, celles-ci sont taciturnes, renfrognées, en