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désagréable qu’ils recevaient le plus souvent dans les ports neutres, les vaisseaux du sud avaient encore le désavantage d’être obligés de brûler leurs prises, faute de pouvoir les emmener dans les ports. C’est une façon cruelle de faire la guerre que de dépouiller de paisibles négocians ; mais enfin la confiscation de la propriété privée à la mer en temps de guerre est un usage admis par les nations civilisées. La proposition que les États-Unis avaient faite en 1856 de respecter les navires de commerce, même sous pavillon ennemi, n’avait pas rencontré d’appui, on le sait, et, si la Prusse a renouvelé cette proposition au début de la guerre actuelle, elle était guidée par son intérêt plus que par des sentimens d’humanité. Le contre-poids naturel de cet usage barbare est que le capteur ne peut s’approprier les bâtimens saisis avant d’avoir fait valider par un tribunal des prises la légitimité de la capture. Or cette garantie importante manquait aux navires américains poursuivis par les confédérés. Et si l’on réfléchit qu’un corsaire tel que l’Alabama, construit en Angleterre, armé dans les eaux portugaises, a couru les mers dix-huit mois durant sans être jamais entré dans un port des états du sud et sans avoir jamais soumis à l’examen d’une cour de justice les innombrables navires qu’il a saisis et détruits, on comprend que les Américains conservent une vive irritation contre ceux qui ont aidé ou favorisé ses entreprises.

Une fois seulement l’intrépide capitaine Semmes essaya de tirer parti d’une de ses prises. Ayant capturé une barque américaine dans les parages du Cap, il l’amena dans une baie de la côte occidentale d’Afrique, en dehors des limites de la colonie anglaise, et il vendit la cargaison, qui se composait de laine et de peaux, à un négociant de Cap-Town ; mais, tandis que celui-ci chargeait ses marchandises, survint un bâtiment de guerre fédéral qui confisqua le tout et se dirigea sur New-York, où la cargaison fut vendue de nouveau au profit du gouvernement de l’Union.

En quittant Cap-Town, l’Alabama s’était dirigé vers les mers de la Chine ; il n’y resta que cinq ou six mois : ce fut assez pour y semer la terreur. Il revint ensuite au Cap et fit voile pour l’Europe. Après une si longue campagne, ce navire avait besoin de grosses réparations, et il se rendit à Cherbourg. Il n’y était pas depuis plus de trois jours lorsque parut en dehors de la rade le Kearsarge, vaisseau de guerre fédéral, sous les ordres d’un officier que le commandant de l’Alabama avait connu jadis dans la marine américaine. Le capitaine Semmes fit prévenir son adversaire qu’il le rejoindrait aussitôt son chargement de charbon terminé. En effet, le dimanche matin 19 juin, les deux navires se livrèrent un combat à 10 ou 12 kilomètres du littoral. On sait quel en fut le résultat ; à la suite