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effroyable déroute, une armée tout entière cernée dans un cercle de fer, n’ayant plus ni vivres ni munitions, et réduite à capituler, notre matériel laissé avec nos soldats aux mains du vainqueur, le maréchal Mac-Mahon blessé et captif avec tant d’autres, l’empereur rendant son épée au roi de Prusse, une tragédie militaire sans exemple se déroulant autour de la statue de Turenne à Sedan, voilà le bulletin qui nous est arrivé d’abord par lambeaux, et qui a fini par tomber comme un coup de foudre au milieu de nos anxiétés patriotiques, entremêlées jusque-là d’espérances ou d’illusions. On n’y pouvait pas croire, tant la catastrophe semblait dépasser toute limite. Quand la vérité affreuse a éclaté, l’empire a été bien peu de chose, il n’existait plus déjà ; il n’a pas été emporté par une conspiration, par une insurrection longuement combinée : il s’est évanoui dans l’émotion publique, ne laissant d’autre trace que le souvenir d’une fin sans honneur et la blessure faite à la France par un système dont le dernier mot est l’invasion, l’arrivée d’une armée étrangère sous les murs de Paris. De ce régime, qui la veille encore semblait si puissant, il n’est rien resté, pas même la majesté d’une ruine ; tout a été balayé d’un souffle, et à la place c’est la France qui s’est levée douloureuse, palpitante, ensanglantée, n’ayant plus d’autres ressources que d’écarter toutes les fictions pour se sauver elle-même.

Serrons de plus près cette déplorable histoire de nos fatalités et de nos mécomptes. Où en était-on il y a six semaines tout au plus ? La guerre commençait à peine ; bien des esprits sérieux étaient divisés sur l’opportunité ou la nécessité de cette lutte, sur le danger de ce nouveau déchaînement de la force ; dans tous les cas, on ne doutait pas généralement que la France ne fut prête pour une guerre qu’elle semblait accepter avec une sorte d’impatience ; on ne pouvait pas douter que ceux qui la conduisaient au combat n’eussent mesuré d’avance l’effort qu’ils allaient avoir à faire, qu’ils ne connussent le terrain sur lequel ils s’engageaient, les ressources dont ils pouvaient disposer, l’ennemi au-devant duquel ils marchaient. Il n’en était point ainsi cependant ; on n’était pas prêt, on ne savait rien, on ne connaissait ni ses propres forces ni les forces de l’ennemi, on était parti sans s’assurer une défense derrière soi, sans se ménager une alliance au dehors, avec la présomptueuse pensée de gagner au pas de course, quelque grande victoire qui serait suivie d’une paix glorieuse, et il n’est pas même certain qu’on se fût préoccupé de la possibilité d’un échec. De là sont venus tous les désastres qui se sont succédé en s’aggravant avec une inexorable logique. Une première fois les cruels combats de Reichshoffen et de Forbach faisaient éclater la vérité dans un éclair sinistre. Qui ne se souvient du réveil troublé de l’opinion en présence de ces revers imprévus ? C’était la première phase de la guerre.

Quand on est un pays comme la France, on ne désespère pas sans doute