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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/369

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aisément de la fortune, on se retrempe au feu du péril. Des malheurs étaient arrivés, mais ils n’étaient pas irréparables. L’opinion était avertie ; seulement il y avait partout désormais cet instinct d’une situation où une fatalité invisible pesait sur toutes les combinaisons et jusque sur l’héroïsme de nos soldats. Malgré tout, on se reprenait à espérer, on s’efforçait d’avoir confiance. C’était le moment où le maréchal Bazaine, par ses habiles manœuvres autour de Metz, par son acharnement au combat, tenait les Prussiens en respect. Nos places fortes, de leur côté, Phalsbourg, Bitche, Toul, Verdun, se disputaient avec une intrépidité heureuse à l’ennemi. Strasbourg, assaillie, incendiée, élevait glorieusement son drapeau au-dessus de ses ruines fumantes. Paris à son tour se mettait en défense. Pendant ce temps, le maréchal Mac-Mahon, revenu à Châlons, pouvait reconstituer une armée avec les débris qu’il ramenait de Reichshoffen et les forces considérables qu’on lui expédiait d’heure en heure. Bazaine inexpugnable avec ses bataillons aguerris sous les murs de Metz, Paris prêt à se défendre dans sa cuirasse de fortifications, Mac-Mahon reprenant la campagne avec une armée nouvelle et intacte, moyennant tout cela rien n’était assurément perdu encore. Il y avait un mélange de confiance et d’anxiété lorsqu’on apprenait que l’heure d’un nouveau choc approchait, que le maréchal Mac-Mahon, qui avait un instant paru se replier sur Paris ayant à sa suite le prince royal de Prusse, venait de se dérober subitement et de se rejeter avec toutes ses forces sur la ligne de Mézières à Metz, pour tenter de rejoindre Bazaine. C’était une manœuvre d’une singulière hardiesse assurément, qui, comme toutes les entreprises audacieuses, pouvait tout rétablir d’un coup, comme aussi elle pouvait tout perdre.

Moment dramatique et décisif dans cette néfaste campagne d’un mois ! Les 130,000 hommes partis de Châlons gagnant assez tôt Montmédy et livrant une bataille heureuse à l’armée prussienne avant l’arrivée du prince royal, la jonction de Mac-Mahon et de Bazaine s’accomplissant et rendant l’ascendant à notre drapeau sur la Meuse et sur la Moselle, tout pouvait changer de face. Les Prussiens, au lieu de nous accabler du poids de leurs masses, étaient surpris eux-mêmes, menacés dans leurs communications et dans leur retraite. Cette tentative était-elle irréalisable ? devait-elle fatalement échouer ? ou bien y a-t-il eu des pertes de temps, des hésitations dans les mouvemens, des conflits de directions ? Le général Montauban, à ce qu’il paraît, était seul d’avis de pousser à fond et sans perdre un instant sur Metz ; d’autres, prudemment préoccupés du caractère nécessairement défensif que devait prendre la campagne, s’inquiétaient de cette marche audacieuse, au bout de laquelle ils n’entrevoyaient que désastres, et auraient voulu que Mac-Mahon revînt sous Paris avec ses forces intactes pour attendre les Prussiens de pied ferme. Toujours est-il que l’opération a dû inévitablement se ressentir