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de Moltke connût merveilleusement les positions de Paris depuis cette visite fameuse de 1867 où on le conduisait partout, et où les officiers du roi Guillaume payaient l’hospitalité qu’ils recevaient à l’Elysée en se moquant de notre armée après une splendide revue. Voilà le résultat. Certes depuis longtemps, depuis quatre ans surtout, on n’a pas marchandé les ressources pour élever notre puissance militaire au rang où elle devait être dans la situation de l’Europe. À quoi ont servi ces immenses budgets que des considérations patriotiques pouvaient seules faire accepter ? Que sont devenus ces emprunts des dernières années, ces allocations croissantes qui avaient une destination toute nationale, et qu’on ne pouvait détourner sans trahir les intérêts les plus sacrés du pays ? Comment se fait-il que, lorsque le jour décisif est venu, on n’ait pu envoyer à la frontière que 200,000 hommes, et qu’après ce grand effort on ait eu l’air de ne plus savoir où trouver le reste de l’armée, que des régimens d’artillerie n’aient pu fournir que des batteries incomplètes, et que tout fût à l’avenant ? C’est là pourtant ce qu’il faudrait savoir quand on aura retrouvé quelque sang-froid.

Qui n’aurait cru à une puissante organisation militaire ? On y croyait si bien qu’on s’en faisait une arme contre nous ; on voit aujourd’hui ce qu’elle était. Certainement nous ne voulons pas dire qu’un système quelconque, si obstiné et si imprévoyant qu’il se soit montré, ait pu tarir la vitalité de la France ; il en a du moins désastreusement abusé, il n’a rien organisé, il n’a pas su même se tenir prêt à réparer le mal qu’il avait fait par ses complicités dans de périlleuses transformations de l’Europe. Non, il n’a pas tué la France, parce qu’on ne tue pas une nation si vivace ; il l’a pour ainsi dire disloquée comme on démonte une machine qui perd sa puissance dès que les ressorts cessent de se coordonner, et c’est ainsi qu’on s’est trouvé en présence de ce phénomène étrange, douloureux : un pays en pleine force, regorgeant par le fait de ressources de toute sorte et se débattant vainement contre une invasion odieuse parce que ceux qui étaient chargés de le conduire ont abusé de ce qui pouvait assurer sa défense morale et matérielle. Voilà ce que signifiait cette malheureuse capitulation de Sedan, rançon de tout un passé d’incurie. Militairement, la vérité de la situation éclatait avec une trop saisissante évidence : le maréchal Bazaine restant désormais cerné sous les murs de Metz, il n’y avait plus d’armée d’opération, et rien ne pouvait plus arrêter les Prussiens sur le chemin de Paris. Politiquement, c’était par la force même des choses la déchéance du système qui avait amené ce résultat en y trouvant sa propre expiation, et c’était si bien l’irrésistible conséquence des événement que le jour où se répandait dans Paris cette tragique nouvelle de la destruction ou de la captivité d’une armée il ne restait plus même un défenseur à ce régime marqué du stigmate d’une capitulation. En un instant, par une sorte de mouve-