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Des hommes honorables, appartenant à tous les partis, hormis au parti absolutiste, ont été insultés et parfois maltraités en pleine rue ; nous avons entendu gronder publiquement des menaces d’incendie et de pillage. Avoir eu l’imprudence d’exposer des opinions libérales ou républicaines, parlementaires ou démocratiques, cela suffisait pour être traité d’agent de la Prusse et de traître. Dans un village de la Dordogne, un jeune homme a été brûlé vif, en cérémonie, par une bande de furieux, aux cris de vive l’empereur ! Aux faits que la presse a rapportés, nous en pourrions ajouter bien d’autres, que nous ont signalés des hommes très dignes de foi. Aujourd’hui le danger qu’on a craint semble heureusement être conjuré pour les personnes ; l’est-il également pour la morale publique et l’honneur du pays ? Fiers de notre richesse et du rang qu’on nous accorde dans les arts, pouvons-nous être rassurés quand nous découvrons au milieu de nous ce vieux levain de barbarie ? Le monument de notre civilisation et de notre gloire, que nous admirons avec complaisance, ne reposerait-il que sur des étais vermoulus et pourris ? Nous voulons le savoir ; il faut donc essayer de mettre à nu la plaie qu’on cachait à nos yeux, rechercher la cause du mal, en mesurer la gravité.

On a dit que les hommes des deux derniers ministères, et surtout quelques serviteurs trop fidèles du gouvernement déchu, n’avaient pas été étrangers au trouble social qui a régné dans les provinces. On affirmait que certains d’entre eux ont osé s’en faire les instigateurs, obéissant à la préoccupation presque unique de sauver la dynastie au sort de laquelle ils étaient liés. A l’appui de ces graves accusations, on a fait remarquer que divers faits, d’une signification fâcheuse, ont coïncidé avec les inavouables manœuvres des agitateurs des campagnes. On a cité notamment l’attitude incroyable de quelques journaux dont les attaches étaient bien connues, les provocations arrogantes de divers députés de l’extrême droite, les dissentimens qui se sont élevés à une certaine heure entre l’ancien ministre de la guerre et le gouverneur de Paris, la défiance que l’on a montrée aux gardes nationales, mobile et sédentaire, dont l’armement s’est fait, comme à regret, avec tant de lenteur, les rancunes politiques qui se sont manifestées souvent dans le choix des officiers de la garde mobile, enfin cet appel à Paris pendant quelques jours des pompiers de beaucoup de communes rurales, dont la présence, assez courte d’ailleurs, surprit et blessa, sans doute à tort, une bonne partie de la population qu’on laissait désarmée. Nous ne tirerons, quant à nous, de cet ensemble de faits nulle induction. Nous acceptons même, dans une certaine mesure et jusqu’à plus ample informé, la déclaration que M. Henri Chevreau a faite au corps législatif, car il nous plaît de croire qu’aucun autre désir que le désir de sauver la patrie n’est entré dans le cœur de ministres français, même sous l’empire.