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vous assure que mettre tous ses œufs dans un panier est une phrase qui bourdonne fort à mes oreilles. » Cependant le maréchal se rendit à l’avis du conseil de guerre, et le 19 juillet, c’est-à-dire le lendemain, il décampa de Noyelles et passa l’Escaut au lieu convenu. Le 20 au matin, le quartier-général était à Cateau-Cambrésis, la haute Selle en face du camp. A la vue de ces mouvemens, le prince Eugène ne douta plus que Villars ne voulût débloquer Landrecies, et il marcha vivement de son côté en remontant l’Ecaillon, et s’éloigna d’autant de l’Escaut pour se rapprocher de la place assiégée, autour de laquelle il fit achever avec rapidité, des lignes de circonvallation, et perfectionner des retranchemens bien garnis de canons, pour protéger le corps d’armée qu’il amenait sous la place au secours des troupes assiégeantes.

Mais sous la tente de graves réflexions agitaient le maréchal. Il avait reçu le 19 juillet une lettre du roi datée du 17, écrite au moment même où Landrecies était investie, mais dans l’ignorance de cet événement, et dans cette dépêche mémorable Louis XIV disait à Villars : « Ma première pensée avait été, dans l’éloignement où se trouve Landrecies de toutes les autres places d’où les ennemis peuvent tirer leurs munitions et convois, d’interrompre leur communication en faisant attaquer les lignes de Marchiennes, ce qui les mettrait dans l’impossibilité de continuer le siège ; mais, comme il m’a paru que vous ne jugez pas cette entreprise sur les lignes de Marchiennes praticable, je m’en remets à votre sentiment par la connaissance plus parfaite que vous avez étant sur les lieux, et je ne puis que vous confirmer les précédens ordres que je vous ai donnés pour empêcher le siège de cette place et combattre les ennemis par les endroits que vous jugerez plus accessibles, pendant qu’ils viendront pour s’établir devant la place… »

L’attaque des lignes de Marchiennes était donc secrètement discutée depuis plusieurs jours dans la correspondance confidentielle de Villars et du roi. L’avis négatif et provisoire du maréchal se justifiait par la crainte d’une action périlleuse, où toute l’armée du prince Eugène, cantonnée sur l’Escaut, pouvait être engagée avec un grand avantage de position contre nous, puisqu’elle nous aurait pris en flanc ; mais la marche d’Eugène en amont de l’Ecaillon et la prolongation de ses lignes vers la Sambre et Landrecies allaient changer les chances, toujours périlleuses cependant, de l’opération sur Denain, dont on voit bien que l’idée première était partie de Versailles et du cabinet du roi, pour être exécutée à la vérité dans de moindres proportions.

En effet, le même jour 17 juillet, M. Voysin écrivait au comte de Broglie, qui fut plus tard le maréchal de Broglie, second du nom, alors lieutenant-général, commandant la réserve de l’armée