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Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/62

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davantage, et, pour la fabrication de ces étoffes, il n’est plus besoin d’employer les bonnes laines de Champagne ou de Brie.

Nous devons placer ici un fait extérieur très important ; nous voulons parler de la prodigieuse extension qu’a prise l’agriculture pastorale dans certaines parties de l’ancien et du Nouveau-Monde, et spécialement en Australie. C’est vers 1857 que le commerce des laines coloniales a commencé à recevoir le rapide développement qui, depuis lors, n’a fait que croître. Si l’on veut avoir une idée de ce qu’est devenu l’élevage des troupeaux sur le continent australien, on fera bien de lire quelques chapitres du curieux journal de voyage publié l’an dernier par M. de Beauvoir. On vivra un instant par la pensée au milieu des squatters, c’est-à-dire des fermiers de l’état, qui, en Victoria ou dans la Nouvelle-Galles du sud, louent pour une faible somme les vastes espaces de prairies qu’ils nomment leurs runs, et où ils établissent des sheepstations, stations de moutons de cinquante et soixante mille têtes. La condition des squatters varie selon la législation particulière des divers états. Ici, ils paient au trésor un loyer fixe annuel pour toute l’étendue du run, là, ils ne paient rien pour la terre, mais ils donnent tant par tête de bétail. Quelquefois encore ils paient en même temps pour le bétail et pour la terre ; mais ce double loyer est fixé à un taux inconnu dans la vieille Europe. Entre autres excursions, M. de Beauvoir fait faire à ses lecteurs celle de la station de Thule, en Victoria, où un simple squatter, M. Woolselley, élève 60,000 moutons, sans parler des 4,000 bœufs qu’il possède dans un run adjacent. C’est en 1855 que M. Woolselley s’est établi là, sur un espace d’environ 101,000 hectares de prairies. L’installation a été simple : point de bergeries, point de clôtures, point de barrières. Un berger suffit pour mille moutons ; il accompagne à cheval dans leur vie nomade ses mille bêtes, qui vont où les pâturages les attirent et qui couchent d’ailleurs. en plein air, hiver comme été. Une première mise de fonds de 150,000 francs a été nécessaire pour construire l’habitation du maître, les magasins qui en dépendent, les voitures, chariots, etc., pour acquérir les 8,000 brebis et les 100 béliers qui ont été les auteurs de cette postérité féconde, enfin pour acheter les 100 chenaux que l’on emploie au service des bergers et au transport des laines. Les frais annuels d’entretien d’un tel run sont d’à peu près 160,000 francs, et au bout de l’année, à moins d’accidens imprévus, il reste au squatter 520,000 francs de bénéfice net.

D’après un document anglais qui émane de la douane de Londres, les laines d’Australie n’attirèrent point l’attention avant 1836. En 1847 même, l’importation en Angleterre n’en dépassait pas 26 millions de livres anglaises ; en 1857, elle atteignait le chiffre de 50 millions. Onze ans plus tard, en 1868, l’Angleterre ne