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recevait pas moins de 209 millions de livres de laines coloniales, somme totale dans laquelle les laines d’Australie seules entraient pour une part de plus de 155 millions de livres. C’est vers 1857 que commencent les premières réexportations considérables de ces laines pour la France. Du chiffre de 14,717,000 livres anglaises réexportées chez nous en 1857, on arrive progressivement à celui de 59,401,010 livres en 1868, et cela sans préjudice des importations qui ont été faites directement dans nos ports[1]. Les frais de transport sont minimes ; pour amener les laines de Sydney au Havre, il n’en coûte que 3 centimes par kilogramme. Une fois sur nos marchés, ces mêmes laines y sont plus recherchées que les nôtres[2]. À la Plata, à Montevideo, à Buenos-Ayres, les progrès sont aussi rapides. En 1864, sur la place du Havre seulement, l’importation de ces contrées s’élevait à 17,500 balles ; elle a atteint en 1867 le chiffre de 64,200 balles, et a été de 61,000 balles en 1868. De leur côté, les éleveurs du Cap ne sont pas restés en arrière. Non-seulement ils ont su améliorer leurs troupeaux, mais beaucoup de colons se sont associés pour monter des ateliers de lavage à chaud d’après les meilleurs systèmes, et ils nous envoient aujourd’hui, au lieu de laines achetées exclusivement pour la carde, comme cela se faisait il y a dix ans, d’excellens lots parfaitement propres au peignage.

Ce tableau, qui n’a rien d’exagéré, fait aisément comprendre quelle lutte inégale l’agriculture française a dû soutenir depuis quelques années contre l’agriculture pastorale des terres, pour ainsi dire vierges, où il n’en coûte guère pour prendre possession du sol, sans taxes, sans impôts, sans autres charges qu’un faible loyer, que la peine d’y planter sa tente. On s’est demandé si cela durerait longtemps encore, et si par exemple en Australie le progrès de la civilisation ne finirait pas par refouler peu à peu squatters et troupeaux jusqu’à ce que les prairies leur manquassent. Il est certain qu’on signale, en Victoria et dans la Nouvelle-Galles du Sud, une lutte énergique entre les pasteurs et les laboureurs. Les hommes sages, qui, dans ces contrées, sentent déjà naître en eux le patriotisme australien et qui entrevoient pour leur jeune pays un superbe avenir, se sont faits naturellement les défenseurs de la cause agricole. C’est là présentement chez eux la grosse question politique, et une loi qu’un Européen trouverait à bon droit irrégulière

  1. L’importation totale des laines étrangères en France s’est élevée à 108 millions de kilogrammes en 1869 ; sur cette quantité, 80 millions de kilogrammes appartiennent à la catégorie des laines coloniales.
  2. Il ne faut pas croire d’ailleurs que la qualité en soit mauvaise. Tous les troupeaux australiens proviennent de reproducteurs excellens. On a été acheter en Saxe des béliers dont quelques-uns reviennent à 12,000 fr. aux squatters, et nous savons qu’une loi de la Nouvelle-Galles du Sud défend l’introduction de tout reproducteur qui n’a pas été primé en Angleterre.