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C’est ainsi que nous a été conservée la physionomie générale de l’espèce perdue. L’individu apporté vivant en Angleterre étant mort, on l’empailla, et il finit par prendre place dans le musée fondé à Oxford par Ashmole.

Jusqu’en 1644, l’île Maurice, assez fréquemment, visitée par les navigateurs, était demeurée inhabitée ; mais cette année-là même les Hollandais y fondèrent une colonie. Un tel établissement devait amener l’extinction du dodo ; des chiens, des chats, des porcs, introduits dans le pays, y contribuèrent certainement en dévorant les jeunes et les œufs. Le dernier témoignage de l’existence du dronte date de 1681 ; il est fourni par le journal de bord d’un marin anglais du nom de Harry, montant un navire qui, au retour de l’Inde, passa l’hiver à Maurice ; dans ce document, qui fait partie de la collection des manuscrits du Musée britannique, on cite les dodos, dont la chair est très dure. Ici s’arrête la première partie de l’histoire de l’étrange créature.

En 1693, le naturaliste français Leguat fit pendant plusieurs mois l’exploration de l’île Maurice. Il signale les nombreux animaux qu’il a observés sur cette terre ; il n’a pas vu le dronte, personne ne lui en a parlé. L’oiseau était anéanti, toutes les recherches pour le retrouver furent inutiles ; beaucoup moins d’un siècle avait suffi pour la destruction complète d’une espèce abondante sur un point du globe.

A l’époque où vivait le dronte, les sciences naturelles étaient peu avancées, et l’animal ne fut l’objet d’aucune étude sérieuse. Longtemps après, les zoologistes demeurant frappés de l’intérêt exceptionnel que présentait l’oiseau disparu, tout à fait sans analogue dans la création, eurent la louable tentation de suppléer à l’insuffisance des anciennes descriptions ; mais il restait bien peu de matériaux pour s’éclairer. L’individu empaillé qui figurait au musée d’Oxford avait été sacrifié en 1755. Le vice-chancelier de l’université et les autres commissaires chargés par Ashmole du soin de surveiller les trésors qu’il avait amassés étaient venus dans une heure malheureuse, comme le dit excellemment M. Strickland, faire leur visite annuelle au musée. Le pauvre spécimen, vieux de plus d’un siècle et certainement fort délabré, précieux néanmoins parce qu’il était le dernier des dodos, avait été par ordre des intelligens administrateurs livré aux flammes. Par bonheur encore, on conserva la tête et un pied de l’animal ; l’intérêt scientifique n’entrait pour rien dans cette conservation ; c’était ce qu’on appelle dans le monde un acte de bonne administration.

Quand les zoologistes modernes voulurent apprécier les caractères et les affinités naturelles du dronte, les pièces épargnées se réduisaient à la tête et au pied qui existaient au musée d’Oxford, à