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LES
HOMMES D’ARGENT
DANS LA COMEDIE FRANCAISE[1]

II.

La révolution imposa silence à l’art dramatique, et les acteurs eux-mêmes furent enfermés comme suspects. Ceux qui avaient longtemps représenté des infortunes imaginaires ressentirent à leur tour des malheurs réels. Les Agamemnons, les Gérontes, les Sganarelles, les Turcarets, ces hommes gonflés d’argent qui avaient fait rire tant de générations, payaient un peu durement leurs relations intimes avec les ci-devant de l’aristocratie. Il y eut donc une lacune dans les destinées de la comédie, et l’on eut le temps d’oublier les financiers, aussi bien que les marquis, les abbés et les grandes coquettes. Comment songer à rire des victimes que la ruine et la persécution avaient ennoblies ? Les fermiers-généraux étaient devenus les égaux des seigneurs devant l’échafaud. D’ailleurs le mot même de financier changea de sens. L’assemblée constituante avait supprimé les intermédiaires entre les contribuables et l’état. Plus de partisans, plus de traitans, plus de maltôtiers ; les communes étaient désormais chargées du soin de lever les impôts. Il fallut des circonstances nouvelles pour rajeunir dans le pays les vieilles haines ; et au théâtre les vieilles plaisanteries contre les hommes d’argent. Une place demeurait vide dans les rancunes de la nation, elle ne

  1. Voyez la Revue du 1er octobre.