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politique du consulat ; on laissa faire Aristophane une année ou deux parce que ses traits profitaient au gouvernement ; les colères de la comédie tombaient sur des enrichis du directoire. Au bout de ce délai, soit que l’administration eût purgé la France des Turcarets de la république, soit que les hommes d’argent eussent cédé aux guerriers toute leur puissance et leur crédit, soit que les financiers nouveaux fussent désormais à l’abri derrière le pouvoir absolu de l’homme qui était tout à la fois financier, guerrier et administrateur, le théâtre garda le silence sur les banquiers et gens d’affaires ; Aristophane fut mis de côté faute d’emploi. Ce n’est pas que le consulat et l’empire n’aient eu leurs enrichis, mais la guerre et la victoire furent leurs principaux courtiers. La France fermait les yeux parce qu’elle n’était sérieusement victime que de l’impôt du sang, dont, hélas ! elle a toujours été prodigue ; les maltôtiers de ce régime ne firent sentir qu’au dehors leur aveugle rapacité. Nous avons su depuis si la haine des nations réclame avec usure le règlement de ce genre de comptes. D’autres circonstances tendaient au même résultat. Quand par hasard des négocians dont l’empereur demandait le secours se faisaient la part trop belle, il était juge et partie, et un beau décret de confiscation rétablissait l’équilibre. Quand l’intérêt de l’argent, montant trop haut, était sur le point de troubler le bien-être où s’endormait la France, le conquérant arrivait, chargé de capitaux étrangers et le faisait descendre. Il n’y avait réellement au monde qu’un financier dont tous les autres étaient les commis, et celui-là n’était pas de ceux qu’on met en comédie. Le théâtre ne vit donc pas de rôles nouveaux sous l’empire pour représenter les folies, les excès ou la tyrannie de l’argent, et cette période ne présente à notre étude que les deux ouvrages de Collin d’Harleville et de Picard. C’est là seulement qu’on put deviner ce que deviendrait au XIXe siècle ce genre de personnages rhabillés par la révolution et cependant reconnaissables sous leur travestissement.

Les bravos du parterre purent être agressifs ; les deux pièces de Collin et de Picard ne l’étaient pas. Elles conservaient la marque de l’esprit de leurs auteurs et contenaient surtout une leçon morale. Ces deux hommes d’une profonde honnêteté avaient été frappés de l’altération des mœurs publiques ; ils s’efforçaient d’y porter remède. Autrefois on s’amusait aux ridicules des financiers. Lesage avait fait plus, il les avait châtiés ; mais lui et ses devanciers n’avaient vu dans ces hommes qu’une sorte de tribu à part qu’il fallait livrer à la risée ou au mépris. Maintenant il s’agissait de préserver la nation de leurs exemples funestes, et les hommes d’argent traduits sur la scène étaient tels ou tels de nos voisins. Ils cessaient d’appartenir à une profession et devenaient de plus en plus des