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pouvait raisonnablement nourrir. » Parfois au parc, pendant l’été, le troupeau vivait dans l’abondance, mais souvent aussi il connaissait les jours de jeûne, et en hiver les moutons, entassés dans des bergeries mal aérées, sur un fumier que l’on enlevait deux fois par an, ne recevaient que de chétives rations. Ainsi traité, quoi d’étonnant si le mérinos ne s’engraisse point ? — Une bête lourde d’ossature, légère des parties charnues, à l’épine dorsale raboteuse, au long cou, à l’épaule mal attachée, trop haute, aux flancs interminables, pauvre d’arrière-train, voilà le portrait trop ressemblant que trace du mérinos beauceron M. Emile Lelong, président du comice de Chartres.

Est-ce en persévérant dans ce système qu’on pourra se flatter de répondre aux besoins nouveaux qui se manifestent à présent ? Que faut-il donc faire pour améliorer le mérinos par lui-même et le transformer en mouton précoce ? Il importe, dit M. Lucien Rousseau, de le placer d’abord dans des conditions analogues à celles qu’il trouverait dans les pays où toutes les races sont naturellement faciles à engraisser. Supprimez le parcage, agrandissez les bergeries, faites-y pénétrer le soleil, l’air, la lumière, et que les râteliers contiennent des rations abondantes. Classez les moutons selon la force et l’âge, pour que les plus vigoureux et les plus vieux ne mangent point la part des faibles et des jeunes. Toute l’année donnez-leur une nourriture verte, copieuse et substantielle. Aux brebis-mères, aux agneaux d’un an, il faut, lorsqu’on a quitté les champs, de 2 à 3 kilogrammes de betteraves, de 400 à 500 grammes de fourrage artificiel, de 300 à 400 grammes de pois ou de vesces d’hiver, puis une bonne quantité de menues pailles et de paille d’avoine hachée. Nous passons tous les soins qu’on doit aux agneaux pour assurer leur nourriture pendant le sevrage. Le printemps venu, que le troupeau ne sorte pas de la bergerie avant que l’herbe des prés soit nourrissante. Voilà pour le régime ; cela fait, c’est à l’œil, expérimente du maître de choisir soigneusement les reproducteurs dans le troupeau même et d’appliquer les règles de la sélection. En usant de cette méthode, M. Lucien Rousseau a transformé les mérinos beaucerons que nous avons décrits en animaux tout autres et bien supérieurs pour ce qui touche le rendement en viande. Ses béliers ont la tête légère et courte, le poitrine large, haute et profonde, le flanc court et relevé, le rein droit, les cuisses charnues, le jarret long et fort ; ses brebis ont l’aspect des brebis à viande des races les plus savamment perfectionnées. Nous ne parlons pas de la toison, que les gens du métier apprécient beaucoup ; mais ce qu’il importe de dire, c’est que, dans un troupeau ainsi renouvelé, on peut avant trente mois livrer grasses à la boucherie de jeunes bêtes de réforme ou des moutons mis à l’engrais. Et ceci n’est pas un fait isolé ; en Brie, en