ans qui avait la rougeole. Blonde et charmante, vêtue d’une camisole de cotonnade à fleurs, roses, portant au cou le collier du dépôt, elle donnait, agitée, fiévreuse, visitée par un cauchemar. Tout à coup elle se réveillait en sursaut avec un geste d’effroi, regardait autour d’elle, ne voyait que mon visage inconnu, et remettait avec découragement sa petite tête sur l’oreiller. On est très bon pour ces enfans, on cherche à les désennuyer. Au lit, ils ont des images à regarder : dès que la convalescence leur permet de se lever, on leur donne des joujoux ; mais la gaîté ne leur revient guère, et j’en ai vu plus d’un, assis sur le parquet, tenant un pantin entre les bras, immobile, regardant machinalement devant lui, et perdu dans une de ces rêveries profondes qui à cet âge nous semblent si mystérieuses.
Comme les autres hôpitaux, l’hospice des Enfans-Assistés possède, loin des pavillons occupés, une salle de repos où l’on garde les morts ; c’est dans un cercueil banal, en chêne garni d’armatures de fer, afin qu’il dure longtemps, qu’on les emporte revêtus d’une longue chemise blanche qui les enveloppe tout entiers. On les confie à la terre nue après que l’église a prié sur eux ; mais pour ceux-là nul parent ne suit le petit corbillard : ils s’en vont comme ils sont venus, indifférens à tous, et ne laissent derrière eux aucun regret. Sur la table d’autopsie, il y avait deux cadavres, maigres, émaciés, déjà marqués de taches violettes ; l’un était celui d’un hydrocéphale, vaste tête qui semble faite pour le génie, et où l’idiotie va presque toujours se loger. De grosses mouches vertes bourdonnaient autour d’eux. C’est presque un soulagement de voir morts des enfans à qui était réservée la destinée qu’on peut prévoir. Ils ne sont pas à plaindre, et, pour ce qui les attendait dans la vie, ils ont bien fait de s’arrêter sur le seuil et de ne point aller plus avant. Tout donne une impression triste dans cette maison, tout, jusqu’à la vaste chapelle où chaque matin l’on baptise les enfans apportés la veille.
Dans une grande salle, nous avons assisté au goûter des petites filles ; on leur distribuait de belles tartines de pain tendre amplement revêtues de marmelade de prunes, dont elles se barbouillaient d’importance. Chez ces enfans, le plus souvent le geste est brusque, cassé, à angles droits, presque animal. Avec elles, les sœurs et les files de service ont une patience à toute épreuve ; mais le type le plus intéressant de la maison est un surveillant qui a charge des garçons. C’est un homme d’une cinquantaine d’années environ, de tenue un peu militaire, très propre et soigné dans son uniforme, beau parleur et poussant la politesse jusqu’au raffinement. Il mène sa petite bande par des procédés tout particuliers, et il faut