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convenir qu’ils lui réussissent admirablement. Les enfans amenés en dépôt à l’hospice appartiennent généralement à la catégorie où Auguste Barbier a rencontré son « pâle voyou. » Ils ne pèchent pas précisément par l’excès des belles manières, ils ont vécu près du ruisseau, ils sont impudens, insolens et malpropres ; entre eux, ils s’appellent volontiers « Pif-en-l’air » ou « Tape-à-l’œil. » Le surveillant ne tolère point de semblables familiarités, il veut qu’on soit respectueux les uns pour les autres, et il prêche d’exemple. Si l’un de ces gamins rappelle par certain côté le bon roi Dagobert, ce qui arrive fréquemment, il le fera prévenir par un de ses camarades auquel il dira : « Monsieur Edmond, veuillez avoir l’extrême complaisance de prévenir M. Gustave que le désordre de sa toilette est regrettable, et que, lorsqu’il se retourne, on peut concevoir une opinion fâcheuse des soins qu’il prend de sa personne. » La commission est répétée presque mot pour mot. Je n’en croyais pas mes oreilles. Les enfans ouvrent de grands yeux, s’étonnent d’abord, finissent par comprendre ces phrases emphatiques, et les substituent peu à peu à l’argot malsonnant qu’ils avaient l’habitude de parler. Lorsque le langage se modifie, de nouvelles idées naissent, et les habitudes ne tardent pas à s’en ressentir. L’emploi de termes pompeux et trop choisis frappe beaucoup les enfans : aussi ceux de l’hospice adorent-ils le surveillant ; il les mène au doigt et à l’œil, menace quelquefois, ne punit jamais, et obtient tout ce qu’il veut sans rigueur : c’est un des plus précieux auxiliaires de l’administration. On a voulu dessiner des chemins, des quinconces dans la futaie d’ormeaux ; le surveillant s’en est chargé, et avec le concours de « ces messieurs » il a fait une œuvre de jardinage fort convenable. Bien plus, il est chef de troupe et directeur de théâtre. Il a peinturluré des décors, il les dispose dans une grande salle qui sert de classe, il fait apprendre quelque pièce de Berquin ou de Bouilly aux plus intelligens des pupilles, et à certains jours de fête on donne une grande représentation. Ce sont des joies qu’on peut imaginer : l’émulation est excitée, l’attente pleine d’émotion, le plaisir très vif. Sans bien s’en rendre compte peut-être, cet excellent homme a résolu le difficile problème de fortifier le corps et d’occuper l’esprit des enfans. Il n’en est pas plus fier du reste, et lorsqu’on le félicite des résultats qu’il obtient, il en fait remonter hiérarchiquement tout le mérite au directeur de l’hospice.


III

Ce sont les sous-inspecteurs provinciaux qui sont chargés du recrutement, toujours si difficile et si délicat, des nourrices.