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d’initiative ; on voit fuir quelques hommes par exemple, on pense qu’ils ont pour cela de bonnes raisons, et on les suit. Chez les êtres doués d’une imagination vive, la panique a un caractère tout autre et en quelque sorte foudroyant. — C’est un choc électrique qui met en branle et bouleverse tout le système nerveux avant que l’esprit ou la volonté ait le temps d’intervenir.

— Ainsi le même homme pourrait se montrer brave ou ne l’être pas selon l’heure et les circonstances ?

— Je crois du moins que chacun de nous, pour se montrer en toute circonstance égal à lui-même, doit exercer une sorte de surveillance et de discipline intérieure qui ne permette pas à l’âme d’être prise à l’improviste… Si le sang-froid n’est pas tout le courage, il en est certainement la partie la plus solide en même temps que la sauvegarde. Et cela est si vrai que, si l’on donnait à l’homme qui a peur le temps de la réflexion, presque toujours il se conduirait bravement. Il mesurerait exactement le danger et se persuaderait que le plus sûr moyen et le moins sot d’y échapper est encore de faire bonne contenance. Voici par exemple les Allemands : eh bien ! leur courage est avant tout affaire de raisonnement et de méthode ; c’est parce qu’ils veulent la paix (je parle, bien entendu, des simples soldats et non pas des chefs, dont l’ambition damnée les jette sous le canon), c’est parce qu’ils désirent une paix prompte et la meilleure possible, qu’ils se battent avec résolution ; ils savent que la victoire est le plus court chemin pour retourner chez eux. Ils ont d’ailleurs une autre source de conviction : ce sont leurs officiers, qui le pistolet au poing brûlent la cervelle à celui qui reculé ; entre deux balles, dont l’une est infaillible et l’autre problématique, ils choisissent rationnellement cette dernière, qui est en même temps la plus glorieuse.

— Oui, dit Burskine, et comme leur façon de faire la guerre révèle bien cette race d’hommes à la fois raisonneuse et parcimonieuse ! Avec quelle circonspection ils procèdent, avec quelle économie ils se ménagent ! Pas d’entraînement chez eux ; nulle générosité, nulle ardeur, mais une ténacité froidement calculée, une rapacité sans scrupule. Chaque peuple du reste met ainsi dans la guerre le trait dominant de son génie ; il donne à son courage sa physionomie propre et le façonne en quelque sorte à son image. C’est ainsi qu’en Crimée les Russes nous étonnaient par une stoïque résignation ; ce sont là de solides troupes, de vaillans soldats, et pourtant il ne s’agit pour eux ni de prompte paix à conclure, ni d’avantages à conquérir ; indifférens aux causes, ils le sont également au but de la guerre. Aussi n’ont-ils aucune haine contre l’ennemi, à peine savent-ils son nom ; mais on a commandé, ils obéissent. Leur courage a, comme leur soumission, un caractère véritablement religieux,