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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 novembre 1870.

Il faut bien s’y attendre, une situation comme celle de la France et de Paris est nécessairement à la merci de toutes les incertitudes, de toutes ces alternatives d’exaltation et de doute qui font osciller les esprits dans les périls suprêmes. Le drame terrible de la guerre a des péripéties qui retentissent dans toutes les âmes, qui deviennent une cause toujours nouvelle d’inévitables anxiétés. Qu’est-ce donc lorsque ce drame, commencé par des malheurs, continué par des désastres, se poursuit depuis deux mois dans des conditions particulièrement douloureuses, lorsque par un de ces miracles de mauvaise fortune qui se comptent dans les siècles, un grand pays se trouve tout à coup déchiré, scindé, atteint dans sa cohésion morale et dans son unité vivante, lorsque les forces nationales, disséminées et coupées, sont réduites à un effort gigantesque pour chercher à se rejoindre à travers les masses ennemies débordant de toutes parts ? Qu’est-ce encore lorsque les chances de la lutte par les armes ne sont que la moitié de la difficulté, lorsqu’aux complications militaires viennent s’ajouter les complications politiques, lorsqu’enfin la guerre est doublée d’une révolution nécessaire, inévitable sans doute, mais accomplie dans le feu du péril, au moment de l’interruption violente de tout rapport entre Paris et la France ? C’est là cependant ce qui est arrivé, c’est la situation qui se prolonge depuis deux mois, et dans cette série d’effroyables épreuves qui se sont abattues sur notre pays cette séparation est certainement ce qu’il y a de plus cruel, de plus redoutable, de plus propre à enfanter l’inquiétude, ne fût-ce qu’en ajoutant quelquefois le mal de l’imagination au mal déjà trop grand de la réalité.

Oui, sans doute, voilà notre mal le plus aigu et le plus dangereux ; c’est cette séparation qu’il serait certes bien injuste de reprocher au gouvernement de la défense nationale, puisque le gouvernement en a reçu l’héritage comme la fatalité de la situation faite à la France par des revers sans exemple, puisqu’il ne pouvait l’empêcher et qu’il a fait ce