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dans des milieux identiques, dans des circonstances morales et matérielles semblables. Toutefois les chances d’erreur seront d’autant moindres qu’on aura su rencontrer des conditions plus comparables et des coïncidences plus frappantes. Si l’on ne déchire pas de cette façon le voile qui dérobe l’avenir, on peut entrevoir du moins les diverses possibilités entre lesquelles oscillent nos destinées, et recueillir des enseignemens dont la sagesse fait son profit.

C’est surtout quand une société vient à être jetée par quelque catastrophe hors de ses voies régulières qu’il importe de recourir à un tel procédé, car l’expérience qu’ont pu donner les faits contemporains demeure insuffisante pour l’appréciation des choses étrangères à ce qu’ils nous ont présenté. L’histoire est alors plus que jamais la conseillère de la politique, qui ne saurait se laisser égarer par des théories purement spéculatives. La France est aujourd’hui dans une de ces crises terribles. Il est donc indispensable de remonter le cours des âges pour s’assurer si des faits sinon identiques, du moins analogues à ceux qui se passent sur notre sol, autour de nous, n’ont pas déjà produit de pareilles complications. J’ai feuilleté les annales de l’antiquité, et je suis tombé sur une époque qui me paraît fournir des lumières propres à éclairer les ténèbres douloureuses dont nous sommes enveloppés.


I

Vers le dernier tiers du Ve siècle avant Jésus-Christ, Athènes était arrivée au plus haut degré de grandeur et de prospérité. Le gouvernement de Périclès marqua cette époque glorieuse. L’Attique était la plus éclatante expression du génie hellénique, le foyer des lumières et des arts. Sa capitale surpassait en magnificence et en richesses les autres cités grecques ; elle était le rendez-vous des lettrés, l’école de la politesse et du goût. En même temps qu’elle régnait sur les intelligences, elle dominait dans la politique. Lacédémone lui disputait sans doute encore l’hégémonie ; mais cette république avait momentanément perdu une influence et une supériorité militaire qu’elle devait reprendre plus tard. Sauf la ville de Lycurgue, aucun état de la Grèce n’était en mesure de balancer la prépondérance athénienne. Les tentatives d’indépendance des alliés d’Athènes, loin de l’affaiblir, avaient été pour cette cité la cause qui affermit sa domination. Ces résistances locales ne furent pour les Athéniens que des occasions de triomphes. Leurs victoires se succédèrent presque sans interruption sur terre et sur mer pendant un quart de siècle. Périclès établit leur empire dans la Chersonèse de Thrace, désola les villes maritimes du Péloponèse, défit près de