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autour du tapis d’un bateleur se groupaient des gens de toute sorte. Un ménestrel avec son luth préludait aux danses des jeunes filles du peuple. Tout à coup on voit apparaître une señora suivie de sa duègne inquiète, essoufflée. La noble demoiselle, en quelques bonds légers, passe à travers les assistans, qui s’écartent aussi curieux qu’interdits. D’un mouvement brusque, elle jette de côté sa mantille, saisit un tambourin, et voilà Fedalma, une perle de beauté et de distinction, qui se donne en spectacle aux désœuvrés de la ville. Elle commence par des pas mesurés et gracieux ; bientôt elle s’anime, elle oublie ses titres, sa haute fortune, son prochain mariage : elle oublie don Silva lui-même et son amour. Sa nature l’entraîne ; c’est un délire, une joie folle qui court à travers ses veines. Ses joues brunies se colorent, ses tresses d’un noir brillant s’échappent. Elle lève plus haut son tambourin, qui résonne sous des coups redoublés ; sa légèreté est devenue un élan irrésistible, une force inconnue l’enlève de terre, enivrée, triomphante. On dirait une déesse qui prend l’essor, une déesse du plaisir et de la folie. Il faut que le tintement des cloches, sonnant l’angélus précipite à genoux la foule qui poussait des cris d’admiration, pour que Fedalma revienne à elle-même et se dérobe à une curiosité dont elle devrait rougir.

Quoique Fedalma soit pure et demeure vertueuse jusqu’à la fin, quel doit être l’aveuglement de don Silva pour qu’il ne soit pas averti par de telles échappées ! Silva n’est prudent qu’après coup ; dans son cœur, deux natures opposées se combattent : il y a le lion qui se jette sur la proie et l’homme hésitant qui cède au repentir. Foulant aux pieds les conseils qui s’élèvent entre lui et ses désirs, les plaintes de son oncle ne font que l’aigrir : la nature même de la faute est pour lui un aiguillon des sens. Son amour s’augmente de l’admiration publique pour la beauté, pour les séductions de la danse de Fedalma. Désormais rien ne saurait mettre obstacle au mariage de la bohémienne avec le duc de Bedmar. Voici pourtant qu’une circonstance imprévue vient rompre cette union. Fedalma elle-même détruit les espérances de son amant, la future épouse prend la fuite. Un chef de bohémiens attaché à la cause des Maures, captif avec quelques-uns de ses hommes, avait été amené dans le château du seigneur duc. Il s’est fait reconnaître de la jeune fille : Zarca, le bohémien, est son père. En l’absence de don Silva, il pénètre jusqu’à elle, et la trouve jouant avec un collier dont le mystérieux travail était une énigme pour sa coquetterie féminine, une dentelle d’or habilement filée dont les Maures et les chrétiens ignorent le secret. Ce précieux insigne, marque du commandement de Zarca, sert à prouver ses droits de père. Fedalma