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laisse au héros un larcin qu’il est parvenu à cacher. George Eliot raconte perpétuellement le drame du péché, non celui de l’apaisement, — de la loi morale violée, non de la justice divine satisfaite. Le calvinisme a si bien fait entrer dans les consciences l’idée du crime inexpiable, qu’elle est restée même dans ceux qui ont cessé d’être des fils de Calvin. Le romancier américain Nathaniel Hawthorne, esprit libre et purement philosophique, est nourri de ce dogme : ses romans, qu’il est inutile de rappeler ici, en fournissent la preuve irrécusable. Je ne sais si George Eliot, plus délicat dans l’analyse morale, n’a pas poussé plus loin l’art de tirer parti de cet effrayant repentir qui, pareil au vautour de Prométhée, ronge un cœur toujours renaissant pour son supplice.

La troupe des Zingari se met en marche pour une expédition dont le secret est caché à Silva. Il apprend trop tard que la ville de Bedmar, où il était maître naguère, est prise, et que le prieur Isidor est aux mains des infidèles. Il part affamé de vengeance et de colère, et arrive juste pour se jeter aux pieds du vieillard, que les bohémiens traînent au bûcher. Abaissement inutile, pénitence tardive ! son oncle le repousse et le maudit ; c’est en vain que Silva demande grâce à Zarca, et le prie à genoux d’éteindre le bûcher, de sauver la victime : il n’obtient pour toute réponse que le refus et le mépris. Alors, ne se connaissant plus, il frappe le père de Fedalma. Zarca, mourant, appuyé sur Fedalma, qu’il a fait venir, ordonne pourtant aux siens de délivrer l’Espagnol, de lui rendre son épée, de le laisser passer libre et seul à travers leurs rangs pressés. Silva s’éloigne portant le poids de ses deux crimes, le fardeau d’une vie déshonorée que personne désormais ne daigne menacer. Cependant le brave ménestrel Juan procure au duc une dernière consolation en lui ménageant une entrevue suprême avec Fedalma. Dans la nuit où celle-ci s’embarque avec ses sujets pour l’Afrique, un pèlerin s’approche de la fille de Zarca, lui fait ses adieux, et, immobile sur le rivage, attend que la voile de la Zingara ait disparu dans les ténèbres avant qu’il ne prenne le chemin de Rome, où il doit expier son apostasie.

On est peut-être surpris de ce que l’amour de don Silva et de Fedalma ne nous ait pas fourni la bonne fortune d’une citation ou l’occasion d’une analyse. Nous serions nous-même tenté de partager cette surprise, si nous n’avions pas présens à la mémoire les autres ouvrages de George Eliot. Je ne sais s’il est jamais arrivé à l’auteur de rendre dans sa force cette passion envahissante qui, partout où elle règne, dans les livres comme dans la vie, occupe toute la place et veut tout ou rien. Serait-il vrai que les femmes, à de rares exceptions près, et celles-là très éminentes, sont