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moutons sous la garde de pâtres bergamasques. Après deux heures de marche, le col est atteint ; en cet endroit désert, un petit lac limpide et deux colonnes de granit d’aspect misérable, signe néanmoins de l’activité humaine, offrent une sorte d’intérêt. L’origine de ces colonnes est problématique ; ce sont, disent les uns, des bornes milliaires placées sur la voie romaine de Ciavenna (Chiavenna) à la Curia Rhœtorum (Goire) ; ce sont, assurent les autres, des constructions celtiques marquant un lieu de sacrifices en l’honneur de Jul, le dieu du soleil.

Le col du Julier est franchi en peu d’instans, et tout aussitôt s’opère la descente, les yeux tournés vers la Haute-Engadine. Un spectacle presque incomparable attend le voyageur ; les pics d’une blancheur éblouissante, les champs de glace du Bernina, une chaîne de petits lacs, l’étroite vallée de l’Inn, la rivière échappée du val de Fedoz au Maloja, qui, après avoir arrosé l’Engadine et le Tyrol, ira verser ses eaux dans le Danube, forment un merveilleux tableau, dont le regard embrasse l’ensemble. On arrive à Silvaplana, situé à 1,816 mètres d’élévation au-dessus du niveau de la mer ; on est enfin dans la Haute-Engadine. Silvaplana, joli village exposé aux vents les plus froids, est bâti tout proche d’un lac. Cette localité avait un monastère dans le XIVe siècle ; plusieurs fois elle a été ravagée par les avalanches, et un bois qui entourait le lac a été ainsi totalement détruit. En regardant vers le sud-ouest, on voit à peu de distance le lac de Sils et le village du même nom. En suivant la grande route, dans la direction du nord-est, en côtoyant l’Inn, on trouve le petit lac de Campfer, uni au lac de Silvaplana par un large canal, le lac de Saint-Moriz et successivement les villages de Campfer, de Saint-Moriz, de Cresta, de Celerina, le bourg de Samaden, enfin les communes de Bevers et de Punte, où vient aboutir la voie qui passe par le col de l’Albula.

Entre tous les villages de la Haute-Engadine, Saint-Moriz, ou dans la langue du pays San-Murezzan, est celui qui occupe la situation la plus élevée (1,856 mètres) ; c’est aussi la localité qui reçoit le plus grand nombre de visiteurs. Au XVe et au XVIe siècle, Saint-Moriz était un lieu de pèlerinage pour les Italiens, et depuis longtemps les sources d’eaux minérales, vantées dès 1539 par le célèbre Théophraste Paracelse, attirent des étrangers avides de trouver un remède à leurs maux. Un établissement de bains a été construit non loin du village, et si les malades n’obtiennent pas une parfaite guérison par l’usage des eaux chargées d’acide carbonique, de fer ou de soufre, ils ont pour se récréer la vue des beaux sites, et, pour raffermir une santé compromise, la promenade, dans les bois de mélèzes et d’arolles ou les excursions dans les montagnes. Samaden,