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dernier vestige de la vie, semblent acquérir une importance qu’on ne soupçonnerait jamais dans des endroits moins désolés.

Tous les voyageurs parcourant la Haute-Engadine sont frappés du silence qui règne. Dans nos bois, sur nos routes, au milieu de nos champs, les feuilles des aulnes, des trembles, des ormes, des peupliers bruissent au moindre souffle ; les bourdonnemens des insectes, les cris et les ramages des oiseaux se font entendre ; la vie se manifeste sous toutes les formes. Dans l’étroite vallée de l’Inn et sur les Alpes rhétiques, les arbres aux larges feuilles pédonculées n’existent pas ; les insectes sont généralement des espèces silencieuses. Ces hyménoptères bruyans qui aiment le soleil, guêpes, bourdons, abeilles solitaires, ne montent point jusqu’à la région où il faut subir l’hiver pendant neuf mois, et les oiseaux chanteurs n’y viennent qu’en très petit nombre. Le silence semble avertir que la vie est triste dans des lieux voisins des glaciers.

Elle est en effet bien réduite dans la haute vallée comme sur les pentes des montagnes qui en marquent les limites. Le nombre des insectes, des oiseaux, est loin d’être comparable à celui de ces mêmes animaux dans les contrées jouissant d’un climat chaud ou tempéré. Certaines espèces, répandues d’une manière générale dans les plaines ou dans les forêts de l’Europe centrale, montent jusqu’à la zone des plantes éparses et habitent à côté des espèces particulières aux Alpes ou communes à ces montagnes et à la Laponie. Néanmoins, dans la froide région où la flore est encore d’une remarquable richesse, la faune est pauvre. Quelques-uns de nos arbres, le pin maritime, l’orme, le peuplier, principalement le chêne, servent de pâture à de véritables légions d’insectes appartenant aux familles les plus diverses ; les mélèzes et les arolles nourrissent une population peu variée. Les aconits, les anémones, les saxifrages, ne sont pas rongés comme les orties, les chardons et les molènes.

Dans les forêts d’arbres verts, sur les herbes des pâturages, sur les tapis de mousse, vivent des limaçons, la plupart de très petite taille, mais les observations précises manquent encore au sujet de la distribution de ces animaux dans la Haute-Engadine. On est plus avancé à l’égard des insectes, plusieurs naturalistes s’étant donné infiniment de peine pour les recueillir. Les agiles coléoptères, carnassiers qui se cachent sous les pierres ou se réfugient sous les troncs et les feuilles tombées, existent dans une proportion forte relativement à celle des espèces phytophages, comme les charançons et les jolies chrysomèles. Les lépidoptères, toujours remarqués avant les autres insectes, les papillons, que les simples touristes se plaisent à considérer, ne diffèrent pas de ceux de toutes les hautes Alpes. Sur les pâturages et les gazons voltigent les argus aux ailes