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vérifié. Ce siège de Paris qui ressemblait à un rêve est un fait qui dure depuis plus de soixante-dix jours déjà. Cet investissement qu’on croyait impossible existe, on nous a séquestrés, on nous a enfermés hermétiquement, et même M. de Bismarck prétend nous interdire les airs comme il nous interdit l’eau et la terre. Ce gracieux geôlier proscrit nos ballons qui passent par-dessus sa tête en le bravant, — et nos malheureux pigeons, ces aimables et trop rares messagers de bonnes nouvelles, si le ministre du roi Guillaume pouvait les prendre, il les enverrait sûrement en Allemagne dans une forteresse pour les traduire au besoin devant un conseil de guerre. Cette invasion, devant laquelle reculait l’imagination la plus audacieuse, cette invasion cruelle est devenue une réalité. L’immense serre allemande s’est ouverte pour essayer d’enlacer nos provinces jusqu’à la Loire, elle s’est enfoncée dans la chair et dans le sang de nos malheureuses populations. Paris assiégé, nos principales citadelles de l’est abattues, notre ancienne armée détruite ou traînée en captivité, nos provinces foulées sous les pieds des chevaux et livrées à la soldatesque teutonne, oui, sans doute, tout cela est arrivé, toutes ces choses extraordinaires, qu’on ne voulait ou qu’on n’osait prévoir, sont l’œuvre d’un implacable vainqueur que tout a semblé pousser en avant ; mais c’est ici que la chance a l’air de devenir moins inégale, que l’imprévu cesse de garder toutes ses faveurs pour l’audace conquérante, et en réalité, quand on y regarde de près, quand on rapproche les dates, il se trouve que le plus récent et le plus cruel de nos désastres, cette capitulation de Metz qui a remué la France entière, marque en quelque sorte le point culminant de la fortune prussienne et la dernière extrémité de nos malheurs. On dirait que dans cette suprême catastrophe de toute une armée la fatalité a voulu épuiser ses amertumes. Ce qui est certain dans tous les cas, c’est que, si le coup a été rude, il y a eu depuis ce jour comme une éclaircie, comme des réveils d’espérance dans cette situation violente où la France est occupée à se ressaisir elle-même.

Comment s’est-elle accomplie, cette triste et douloureuse catastrophe de Metz ? Qu’en faut-il penser ? Est-ce le dénoûment inexorable d’une lutte poussée à bout et où rien n’aurait pu désormais détourner un désastre ? Y a-t-il eu à un moment quelconque une défaillance, un trouble d’esprit sous l’influence de préoccupations étrangères à la défense militaire ? C’est déjà un malheur qu’il puisse s’élever un doute sur ces tragédies de l’honneur et du devoir où tout doit être simple et clair comme la nécessité. Certes on ne dira pas qu’elle a été faible de cœur cette armée qui s’est portée si souvent et si vaillamment à l’ennemi pendant soixante-dix jours, et qui a vu tomber sous le feu plus de quarante mille hommes, plus de deux mille officiers, vingt-quatre généraux. Elle s’est battue intrépidement, elle a supporté les dures privations du blocus, elle a épuisé ses vivres jusqu’au bout, et, sans parler de l’armée elle-même, qui est