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çaise, ils doivent bien s’attendre à rencontrer de la résistance dans le sentiment national, à être traités en envahisseurs, S’ils emploient de tels moyens, les représailles terribles viendront bientôt ; la guerre, déjà si cruelle par elle-même, ne sera plus qu’une étreinte sanglante entre deux races devenues d’immortelles ennemies, décidées à se servir de toutes les armes, et alors où s’arrêtera-t-on dans cette effroyable carrière ? Où va-t-on avec ce système qui rappelle les grandes invasions barbares, et que M. le comte de Bismarck et M. le comte de Moltke, au nom du roi Guillaume de Prusse, auront eu la gloire de restaurer en plein XIXe siècle ?

Ce qu’il y a de grave aujourd’hui en effet, ce n’est pas seulement la guerre elle-même, si douloureuse qu’elle soit, c’est le système d’où procède cette guerre, et qui peut rouvrir dans le monde une ère nouvelle d’abominables tueries et de luttes gigantesques. Il n’y a pas bien longtemps, le journal de la Cité de Londres, le Times, qui n’est pas précisément un ami pour la France, qui nous a poursuivis depuis trois mois de ses plus amères sévérités, le Times disait qu’après Sedan l’Allemagne, satisfaite et fière de ses victoires, eût fait volontiers la paix sans toucher à l’intégrité de la France, que ce sont les généraux, les chefs militaires qui ont voulu marcher en avant pour venir chercher dans Paris la Lorraine et l’Alsace. Voilà justement la question ; il ne s’agit plus de sûreté allemande, d’intérêt véritablement allemand, il s’agit de conquête. C’est pour une pensée toute militaire, pour un orgueil tout militaire, que l’Allemagne se trouve engagée dans une guerre démesurée dont l’issue incertaine, toujours précaire, peut être aussi funeste pour elle-même que pour le repos de l’Europe. Que la possession de ces provinces prétendues allemandes de la France et si ardemment convoitées ne soit pas sans danger, qu’elle doive rester toujours orageuse, les chefs prussiens ne le nient pas. Ils ont beau mettre partout les couleurs de la Prusse, germaniser les noms, publier des journaux allemands, ils ont tous les jours la preuve de l’antipathie violente, de l’irréconciliable haine des populations. On avoue avec un leste cynisme qu’on aura là une autre Pologne, de sorte que le premier prix dont l’Allemagne devra payer une extension de ses frontières sera une occupation militaire indéfinie. Ce n’est certes par là ce qui peut rendre l’annexion de l’Alsace et de la Lorraine fort utile politiquement à l’Allemagne. Peut-on invoquer les raisons stratégiques, les nécessités de défense que les chefs prussiens mettent toujours en avant ? La guerre actuelle montre d’une façon saisissante ce qui en est. On vient de voir comment la France, même avec Strasbourg et Metz, est dangereusement offensive pour l’Allemagne, quelle est celle des deux frontières qui est la plus ouverte et la plus menacée. Non, il n’y a dans une extension de frontières ni un intérêt politique, ni même un intérêt militaire pour l’Allemagne ; il n’y a que la conquête. C’est pour cela qu’on