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d’avoir souffert qu’on déclarât la guerre à contre-temps et sans l’avoir préparée. Le crime jusqu’ici impuni et triomphant de la Prusse est de l’avoir voulue et poursuivie avec l’astuce et la ténacité de gens froidement passionnés qui, ayant résolu de tuer un homme, ont l’art de se faire provoquer par leur victime. En vérité, aucune fatalité ne nous aura été épargnée dans cette guerre. A tous nos malheurs nous avons joint toutes les maladresses, la pire de toutes, celle de paraître les agresseurs quand nous ne l’étions pas.

On nous assure que la Prusse n’a pas désiré la lutte, seulement qu’elle l’a prévue inévitable, qu’elle l’a vue venir avec une patriotique tristesse. Que ne laissait-on l’Allemagne se constituer à son gré, accomplir pacifiquement son mouvement providentiel d’harmonie et d’unité, l’orbite prévue par tous les astronomes de la politique et marquée d’avance par la mathématique éternelle qui régit l’histoire comme elle règle les cieux ? On reconnaît à ce discours les hégéliens de Berlin et ceux même de Paris. Dans un langage plus précis, M. de Bismarck nous dit que l’unité allemande était une œuvre purement allemande, que nous n’avions aucun droit à nous en mêler, même à nous en inquiéter, que Sadowa ne nous regardait pas. Certes nous n’aurions rien à répondre, si cette unité s’était faite toute seule, spontanément, s’organisant sans effort dans les institutions et dans les faits, transformant le sol et l’histoire d’un grand pays, s’il était vrai enfin que la France fût venue troubler l’opération mystérieuse. Est-ce bien ainsi que les choses se sont passées ? Tout le monde sait que, pour achever le grand œuvre, il a fallu que l’alchimiste versât des flots de sang allemand au fond du creuset où la fusion devait s’accomplir. Si jamais le compelle intrare trouva son application, c’est dans cette sombre histoire qui va de 1864 à 1866, qui commence au Slesvig usurpé, qui finit au roi de Hanovre dépossédé, à l’Autriche vaincue et rejetée hors du giron allemand. On a dit avec raison qu’une pareille unité ressemblait fort à l’union des travaux forcés sous le sceptre du bon roi Guillaume. Là est la vraie cause de la guerre, et non ailleurs. L’œuvre de l’unité était si bien une œuvre artificielle qu’elle n’aurait jamais pu s’accomplir par la simple terreur prussienne. Il y fallait joindre la terreur française pour consommer l’opération et réduire les élémens réfractaires. C’est ce que fit avec un art supérieur M. de Bismarck, recueillant avec soin, fomentant cette semence vivace de haine et de vengeance qu’avaient laissée les conquêtes du premier empire, et que ravivaient les maladresses menaçantes et la politique cauteleuse du second empire. Depuis 1866, il devint visible que la guerre avec la France était l’unique ressort de la politique prussienne, l’objectif proposé à tous les peuples de la