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au dehors rejoint les armées de secours. Dans tous les contingent qui se forment à l’ouest et au nord, une place est réservée aux matelots des classes. Des dispositions réglementaires les libéraient après trois années de service. Un décret seul pouvait les rappeler. Personne ne songe plus à profiter du bénéfice de cette législation ; tout ce qu’il y a de bras valides s’enrôle dans les cadres, se tient prêt au combat. Les pêcheurs des côtes ne se montrent pas les moins ardens : en leur fermant le marché de Paris, on les a ruinés eux et leurs enfans ; ils s’en vengeront à coups de mousquet. La foi les anime, l’esprit d’obéissance les soutient, ils ont à leur tête des officiers qu’ils aiment et qu’ils ont appris à respecter, des chefs qui les ont conduits dans les deux mondes, à Saigon, à Sanghaï, à la Vera-Cruz. Tout se lèvera, si l’ennemi s’obstine, la femme près du mari, l’aïeul près de ses petits-fils.

Ainsi, partout où il y a eu un bon exemple à donner, un service à rendre, un risque à courir, on retrouve nos marins. Ils se multiplient pour bien faire, et cela simplement, sans jactance, sans bruit, par un mouvement naturel qu’on dut parfois contenir plutôt qu’encourager. Le peuple de Paris ne s’y est pas trompé ; ces champions à l’air franc, au maintien décidé, ont été dès le début du siège et sont restés ses favoris ; ils abattent tant de besogne et donnent de si bons coups de main, le tout sans se faire valoir ! Ils se montrent en outre toujours disciplinés, faciles à vivre, pieux même et déférens pour leurs officiers. Que de titres à une popularité de bon aloi ! Ils la supportent sans l’avoir recherchée, s’y dérobent, en sont embarrassés quelquefois. Voici pourtant qu’on les oblige à se mettre encore plus en évidence, à faire d’autres preuves, à gagner de nouveaux chevrons. Nous n’avions eu jusqu’ici, à ce qu’il semble, qu’un siège passif ; depuis quelques jours, nous avons un siège réel. Les batteries mystérieuses, enfin démasquées, ont commencé à faire entendre leur voix. Si tardif qu’il soit, ce défi n’en sera pas moins vigoureusement relevé. C’est à nos marins qu’on s’adresse ; on en veut à ces forts, leur domicile et leur domaine, restaurés, armés de leurs mains, et qui sont pour Paris ce que M. de Bismarck nommerait les clés de la maison. Il s’agit maintenant de les défendre, et on peut s’en remettre à nos marins : ils feront mieux que jamais au moyen des armes qui leur sont le plus familières, et mèneront à bien, espérons-le, avec la garde nationale, les mobiles et l’armée, le dernier effort pour l’œuvre de délivrance.

Louis Reybaud.