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LES FINANCES DE L’EMPIRE.

toutefois une amélioration évidente sur le précédent état du droit. La première, c’est qu’on est amené fatalement à exagérer dans une proportion plus ou moins grande les allocations du budget primitif, afin de fournir des excédans et de permettre le jeu des viremens. On s’expose ainsi au danger de créer un budget latent à côté du budget voté. Ensuite on laisse la porte ouverte à l’abus du droit de virement lui-même. Chaque fois que ce droit s’exercera, non par un simple mouvement d’excédant, mais par des emprunts faits aux crédits essentiels des services obligatoires, il retombera par une autre voie dans tous les inconvéniens des anciens crédits supplémentaires. Enfin il est permis de douter que ce système puisse logiquement exister dans d’autres conditions que celles du vote du budget par ministères. Il semble incompatible avec le régime de la spécialité par chapitres. Cette spécialité en effet ne devient-elle pas à peu près illusoire lorsque le gouvernement à la faculté, après le vote, de refondre complètement au moyen des viremens la répartition des crédits ?

Dans la pensée des législateurs de 1862, le virement sagement pratiqué devait avoir pour résultat de ne pas déranger l’équilibre final des recettes et des dépenses ; on espérait que les budgets, placés sous une surveillance plus étroite du corps législatif, seraient réglés définitivement à peu près comme ils avaient été votés. Les faits vinrent dissiper les illusions qu’on avait pu concevoir à cet égard. Des surcroîts de dépense de 100, 200 et 300 millions continuèrent à s’ajouter chaque année aux prévisions budgétaires, et à démontrer la fragilité de l’obstacle qu’on avait cru opposer au torrent des charges publiques. Il serait injuste toutefois d’attribuer ce mécompte aux vices du régime de 1861. Tout autre système financier n’y aurait pas mieux réussi. Ce n’est pas en entourant l’ouverture des crédits de formalités et de restrictions qu’on parviendra jamais à tracer aux finances des limites infranchissables ; c’est surtout en fixant entre les mains des représentans de la nation l’autorisation des actes dont les conséquences rejaillissent sur le budget sous forme de diminutions de recettes ou d’accroissement de dépenses. Lorsque la décision des grandes questions de paix et de guerre, le règlement des intérêts économiques, la signature des traités de commerce, ont lieu en dehors de la nation, le contrôle qu’elle exerce sur l’administration des finances est incomplet. Lorsque les opérations sont engagées, que nos soldats marchent à l’ennemi, que des remaniement de tarifs ont créé des vides dans les caisses publiques, il n’est guère permis de refuser les subsides. En présence de faits accomplis, il est impossible de discuter utilement des questions de crédits, et il ne reste plus qu’à sanctionner par le vote des mesures