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l’évidence des faits, en dit plus en notre faveur que tous les éloges patriotiques que nous pourrions nous décerner à nous-mêmes.

C’est ce qui donne tant de prix à la relation que Goethe nous a laissée de la campagne de France[1]. Peu de chapitres de notre histoire ont été écrits dans de meilleures conditions de sincérité. La qualité d’Allemand et de volontaire au service de la Prusse défend l’auteur contre le soupçon de nous être trop favorable, en même temps que sa véracité bien connue nous assure de l’exactitude de ses récits, et que son estime pour nous, jointe à son équité naturelle, l’empêche de partager les préjugés nationaux de ses compatriotes. En racontant fidèlement ce qu’il a vu, il ne se fait le flatteur d’aucune passion populaire, le complice d’aucune haine aveugle ; il entend ne servir d’autre cause que celle de la vérité, il n’écrit pas pour satisfaire l’opinion des Allemands, fort divisés du reste, et dont une partie fait des vœux contre l’armée du duc de Brunswick, mais avec la pensée plus haute de les éclairer sur le véritable état de la France, de leur apprendre les véritables causes de l’échec de la coalition. On reconnaîtra la même indépendance de jugement, la même élévation de vues dans le récit du siège de Mayence, auquel il assista l’année suivante, où il allait rejoindre, comme il l’avait fait en France, le régiment au service de Prusse commandé par le duc de Weimar. On y retrouvera également l’exemple instructif de l’énergie que déployaient alors nos armées, Il ne sera peut-être pas inutile à notre génération de reporter les yeux vers de tels spectacles, de se rappeler quelle opinion les premiers soldats de la république inspiraient de leur audace et de leur patriotisme aux ennemis de la France.


I.

Les choses étaient bien changées depuis le jour où le duc de Brunswick, précédé de son insolent manifeste, mettait le pied sur le territoire français à la tête des 80,000 hommes de la coalition. Quelques heures de combat et quelques jours de mauvais temps avaient suffi pour réduire à l’impuissance cette belle armée, ces généraux qui se croyaient invincibles et qui se préparaient à une marche triomphale vers Paris. Après la bataille de Valmy, il ne leur restait plus d’autre ressource que de battre en retraite péniblement sur des routes défoncées et d’aller se réformer derrière le Rhin. Le même désastre qui leur arrachait leurs rapides conquêtes de la Lorraine et de la Champagne déplaçait le champ de bataille, et reportait la guerre en pleine Allemagne en les forçant à défendre leur

  1. Voyez la Revue du 1er janvier.