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situation géographique, rôle de médiation civilisatrice entre l’Occident et l’Orient, et non pas, s’il sait le comprendre, de dangereuse domination à l’égard de l’Europe, ajoute un intérêt particulier à tout ce qui regarde l’ethnographie de cette immense contrée. Il y a là un singulier mélange de races. À côté de groupes nombreux, débris de souches antiques dont les uns peuvent sembler aujourd’hui décrépits et inertes, tandis que d’autres, probablement en plus grand nombre, sont capables de rénovation, il y a des peuples jeunes qui n’ont pas encore joué leur partie dans l’histoire. Tout ce qui peut nous éclairer sur le génie de ces populations nombreuses, sur leur gouvernement intérieur, comme sur leurs aptitudes d’esprit, ne saurait être indifférent même aux politiques. Ces tribus finnoises qui couvrent une grande partie de l’empire moscovite, surtout le long des lacs et des fleuves, paraissent ne relever ni de la race indo-européenne, ni de la race sémitique. Par leur idiome, par leur type physique, par leur histoire, elles se rattachent à cette race touranienne qui a figuré la première sans doute dans le monde, et que représentent encore aujourd’hui soit les peuplades sibériennes, esthoniennes, laponnes, groupées autour du grand-duché de Finlande, soit les Turcs, les Magyars et peut-être les Basques. Le rôle de cette race en Asie et en Europe n’a pas eu seulement cela de remarquable qu’il a précédé, autant qu’on peut le conjecturer, celui des Indo-Européens et celui des Sémites ; il a été de plus considérable par les grands mouvemens et les lointaines conséquences auxquels il a donné lieu. Si l’on consulte les livres védiques, c’est contre les Touraniens, leurs prédécesseurs, qu’on voit les Aryens émigrant dans la vallée du Pendjab livrer tant de combats. Dans plusieurs contrées de l’Asie occidentale, par exemple dans cette Asie-Mineure qui a vu passer tant de migrations et de dominations diverses, un fonds touranien subsiste, auquel viennent se heurter le linguiste, l’archéologue, l’historien, quand ils examinent par les idiomes, les inscriptions, les annales, ces civilisations successives.

L’antiquité classique n’a pas entièrement ignoré ces peuples, qu’elle a compris sous la vague dénomination de Scythes. Le précieux quatrième livre d’Hérodote contient à ce sujet beaucoup d’indications que les érudits ont à l’envi commentées. Quant au livre de Tacite sur la Germanie, cet autre trésor de renseignemens ethnographiques, il désigne les Finnois avec précision, non-seulement par leur nom même, mais encore par la mention de quelques bizarres légendes évidemment enfantées par les récits de témoins oculaires. L’antiquité n’est pas restée aussi étrangère qu’on le pourrait croire à la connaissance de l’Europe orientale et septentrionale. Le commerce, particulièrement le commerce de l’ambre, avait ouvert très anciennement des routes jusque vers les côtes orientales de la Bal-