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emploient-ils dans l’usage ordinaire de la vie, au foyer de la famille ? Dans quelle langue prêche-t-on à l’église catholique et au temple protestant ? Si les habitans ne parlent que français, ont-ils entendu parler allemand dans leur enfance ? quelle langue parlaient leurs pères et leurs grands-pères ? Les noms portés par les habitans sont-ils des noms français ou des noms germaniques, ou des noms germaniques francisés ? La population est-elle d’origine purement alsacienne et indigène ? s’est-elle accrue d’élémens étrangers, et dans quelle proportion ? Ces élémens non indigènes de la population sont-ils allemands ou français, c’est-à-dire d’autres parties de la France ? À quelle race, celto-latine ou germanique, les habitans se rattachent-ils par les caractères physiques ?… Le tout était soigneusement consigné dans le carnet de ces questionneurs scrupuleux, et tous les matériaux ainsi laborieusement amassés servaient à construire une carte linguistique « d’Allemagne. » Loin de nous la pensée de contester les services que de pareils travaux rendent à la science ethnographique ; mais il est permis de penser que l’intérêt purement scientifique ne faisait pas oublier à ces savans distingués un intérêt d’un autre ordre. Dans ces cartes linguistiques si répandues en Allemagne, — et que M. Bœckh voudrait aussi voir pénétrer dans les écoles, — l’étendue du vaste domaine où se parle leur langue consolait les Allemands de leur morcellement politique Cette pensée entretenait en eux l’espoir d’une grandeur future, et stimulait leur ambition de reconquérir un jour les membres dispersés de l’ancien empire germanique.

Nos géographes et nos statisticiens qu’intéressent la délimitation des deux langues, française et allemande, et la statistique des élémens germanique et roman dans nos provinces de l’est, trouveront dans le livre de M. Bœckh ce travail lait avec un souci d’exactitude et une richesse de détails vraiment remarquables. Pourtant au milieu de ces dénombremens et de ces chiffres la passion éclate par momens, et le statisticien disparaît derrière le pangermaniste. À son oreille retentissent les vers de Scheckendorf, qui, contemplant l’Alsace de l’autre rive du Rhin, s’écriait : « Là-bas dans les Vosges — est un trésor perdu. — Là du sang allemand doit être — délivré du joug de l’enfer ! » Ce qui porte au plus haut point la colère de M. Bœckh est le soin pris par l’administration de notre pays de propager la connaissance du français en Alsace et en Lorraine, et d’y restreindre autant que possible le domaine de la langue allemande. Peut-être aurait-on dû laisser à la langue allemande une part importante dans l’instruction des jeunes générations de l’Alsace, et pouvait-on sans danger accorder quelque chose au respect des traditions locales ; la résistance de l’Alsace à l’invasion et à l’occu-