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qu’un cri d’indignation en Prusse, si une puissance slave, convertie au « principe de la nationalité » de M. Bœckh, sommait la Prusse de « faciliter le retour à la langue slave à ceux qui ont été germanisés par ruse et par fourberie. » Ces théories ne sont que des armes de guerre dont l’Allemagne compte user seule. À quoi bon cette hypocrisie, et pourquoi ne pas décerner purement et simplement à l’Allemagne le droit brutal de la conquête ?

Le Luxembourg ne semble pas montrer plus que l’Alsace le désir de redevenir allemand ; nous avons même appris récemment qu’un des griefs à l’ombre desquels M. de Bismarck compte ravir son indépendance à ce petit état est tiré des insultes que, prétend-il, les Luxembourgeois adressent aux Allemands de passage sur leur territoire. Par un motif encore plus spécieux, par un argument tiré du droit historique, M. Bœckh réclamait déjà l’entrée du grand-duché de Luxembourg dans la confédération des états allemands. La France succombant dans son terrible duel avec l’Allemagne, M. de Bismarck donnera sans nul doute satisfaction aux vœux du nationaliste statisticien, et ce petit pays, qui pendant la guerre de 1870 a fait un si noble usage de sa neutralité, ne saurait tarder à se voir violemment annexé au nom du principe prussien de la nationalité. Avec le triomphe du pangermanisme, le grand-duché ne serait d’ailleurs pas seul à disparaître. Après lui viendrait logiquement la Hollande, viendrait la Belgique, viendraient même nos départemens du Nord et du Pas-de-Calais, en un mot tous les pays de langue hollandaise ou flamande, parce que ces langues sont des dialectes de souche germanique. La différence des dialectes est en effet si peu de chose pour M. Bœckh que, dans le tableau statistique des différentes nationalités de l’Europe par lequel se termine son volume, la Hollande et la Belgique figurent entre les royaumes de Bavière et de Saxe dans l’énumération des différens états « allemands. »

Pour la Hollande, l’annexion ne semble à M. Bœckh qu’une affaire de temps, retardée par l’esprit particulariste des Hollandais, qui a continuent à se dérober à l’union allemande. » Ce particularisme, ridicule aux yeux des pangermanistes, aurait uniquement son origine dans le fait que, la Hollande ayant été depuis longtemps séparée de l’Allemagne, le dialecte hollandais du bas-allemand s’est élevé au rang de langue littéraire, et qu’il s’est établi ainsi une barrière entre les deux pays. Le passé glorieux des Provinces-Unies est plus encore pour les Hollandais un motif de tenir à leur nationalité. On sait combien elle leur est chère ; mais M. Bœckh leur assure qu’ils comprennent mal leurs intérêts, et que le meilleur moyen de regagner leur ancienne puissance est de rentrer dans le giron de l’Allemagne. En outre le « principe de la nationalité » les y oblige,